Heidi Sevestre, une glaciologue de l’extrême pour protéger notre planète

7 minutes

éducation et formation

Par Laurie Henry

Heidi Sevestre, glaciologue française et membre du secretariat de AMAP, Arctic Monitoring and Assessment Programme, Groupe de Travail du Conseil de l’Arctique, consacre sa vie à la science et à la sensibilisation du public face aux enjeux climatiques. Elle est mondialement reconnue pour son implication et son courage dans la recherche de première ligne, menant des expéditions inédites. Son objectif aujourd’hui est de rendre les faits scientifiques plus accessibles et d’inciter les gens à se joindre à la lutte contre la crise climatique.

Un parcours dans les glaciers

Heidi Sevestre a grandi dans les Alpes françaises, se forgeant une passion profonde pour les montagnes et les glaciers. A 17 ans, elle prend la voie de la glaciologie. Après une thèse de quatre ans sur la dynamique des surges glaciaires (avancée très rapide d’un glacier), elle est diplômée du Centre Universitaire du Svalbard UNIS. Un travail qui figurera en couverture du journal scientifique Science en Décembre 2017.

Par la suite, elle enseigne la glaciologie aux étudiants de maîtrise et de doctorat au Centre universitaire de Svalbard dans l’Arctique. Elle devient membre internationale de l’Explorers Club, et dirige de nombreuses expéditions polaires et d’alpinisme des Andes à l’Himalaya. Aujourd’hui, elle aide à coordonner la recherche sur le dérèglement climatique en Arctique, et à communiquer les résultats de ces recherches auprès des gouvernements du Conseil de l’Arctique avec AMAP – Arctic Monitoring and Assessment Programme.

 

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The 2021 expedition led by Heidi Sevestre in Svalbard © Climate Sentinels

Climate Sentinels, une expédition neutre en carbone en 2021

En avril 2021, Heidi dirige une équipe de 6 femmes scientifiques et exploratrices- baptisées les Climate Sentinels – lors d’une expédition, avec l’objectif de mieux comprendre les moteurs du changement arctique sur l’archipel norvégien du Svalbard.

L’équipe a skié sur 450 km de glaciers, fjords et sommets enneigés, faisant de cette expédition la première expédition neutre en carbone menée au Svalbard. La collecte scientifique d’échantillons lors de leur voyage a quelque peu alourdi les traineaux qu’elles tiraient. Mais cela restait négligeable face au poids de tout leur matériel (tentes, sacs de couchages, outils scientifiques).

Malgré une préparation hors norme, l’équipe s’est retrouvée aux prises avec des vents de plus de 140 km/h et de violents blizzards – des conditions exceptionnelles pour le mois d’avril. Les 6 femmes ont dû s’enfouir dans la neige pour se protéger d’une tempête qui s’approchait alors qu’elles étaient en hauteur sur un plateau. Elles ont également rencontré 5 des 3000 ours polaires de la région. . L’adaptation est un gage de survie dans ces environnements hostiles.

 

Au Sud du Svalbard, le 21 Avril 2021 : Heidi Sevestre, Nina Adjanin, Silje Smith-Johnsen, et Anne Elina Flink, trois membres de l’expédition des Sentinelles du climat, effectuent une prise d’échantillons de neige pour mesurer la concentration en noir de carbone © Heidi Sevestre

L’arctique, témoin de première ligne du changement climatique

L’archipel arctique se réchauffe six fois plus vite que le reste du monde. À Longyearbyen, la ville où l’expédition s’était basée, l’impact du recul du pergélisol (sol perpétuellement gelé) met en péril les cercueils anciens par l’érosion (aujourd’hui il n’est plus possible d’enterrer des cercueils au Svalbard). En effet, la conservation due au pergélisol garantit que les squelettes des tombes retiennent les tissus mous de la peau, des cheveux et de la matière cérébrale, fournissant un aperçu unique des conditions de vie dans la région aux XVIe et XVIIe siècles. De plus, les zones résidentielles sont, pour la première fois de l’histoire, sujettes aux avalanches. Ce dernier point est notamment dû au fait que les températures augmentent vite, que la couche neigeuse se charge d’humidité et est déstabilisé.

C’est pourquoi pour améliorer la compréhension de la fonte de l’Arctique, les membres de l’expédition ont analysé le noir de carbone. Sur le site de l’expédition, Heidi Sevestre explique que le noir de carbone, est le résultat de la combustion incomplète des énergies fossiles et de la biomasse. Les moteurs diesel et pétrole, les usines à charbon ou les feux de forêt sont parmi les plus grandes sources de noir de carbone. Or, quand les fines particules sont suspendues dans l’air, elles absorbent le rayonnement solaire et modifient la formation des nuages et les taux de précipitation. Une fois déposées sur le sol, en particulier sur des surfaces de couleurs claires (la neige et la glace), le noir de carbone les fait fondre.

Illustration du réchauffement climatique au Svalbard © Climate Sentinels

Dans une interview donnée à ABC News, Heidi Sevestre souligne qu’environ 40% de la fonte de l’Arctique aujourd’hui peut être attribuée aux dépôts de carbone noir.

« Il est encore temps d’empêcher que cela s’aggrave , ajoute-t-elle, mais seulement si nous commençons à agir immédiatement… Je dois rester optimiste. C’est mon devoir. Si nous, les scientifiques, si les gens qui sont si passionnés par les régions polaires abandonnent, pourquoi les gens devraient-ils se soucier de ces régions ? Pourquoi les gens devraient-ils agir ? Mais c’est vraiment maintenant ou jamais ».

Tout au long de ce voyage, les membres de l’équipe ont travaillé avec des classes du monde entier pour rendre la science accessible aux jeunes générations, et leur faire comprendre comment ces environnements polaires réagissent au changement climatique et ce qu’il est possible de faire. Elle partage d’ailleurs les différentes étapes de cette expédition sur une chaine Youtube dédiée, et toutes les aventures de Heidi sont mises en ligne sur son site internet.

Une médaille en 2022 pour récompenser une vie vouée aux sciences

En 2022, Heidi Sevestre est devenue la lauréate de la première médaille Shackleton pour la protection des régions polaires. Cette récompense vient saluer son travail scientifique exemplaire, ses réalisations en tant que chef d’expédition dans des environnements extrêmes, et son travail en tant que membre fondateur de Climate Sentinels. Mais cette médaille est surtout une reconnaissance du travail qu’elle a mené pour de nombreuses campagnes de sensibilisation et documentaires, ainsi que pour son travail de communication scientifique auprès de groupes géopolitiques, de dirigeants nationaux et de gouvernements.

En effet, il ne se passe pas un jour où ces régions sensibles des pôles ne fassent l’objet d’un article à cause des températures élevées sans précédent, ou l’effondrement dramatique des plates-formes de glace en Antarctique. Le moment est venu de lutter contre le changement climatique et de protéger nos régions polaires, et Heidi Sevestre reste non seulement physiquement en première ligne dans ses recherches scientifiques, mais aussi en tant que force motrice, avec son discours proactif avec les dirigeants du monde entier.

Le fondateur de Shackleton, Martin Brooks, a déclaré dans le communiqué de presse de la remise de médaille : « Je ne pourrais être plus fier de décerner la toute première médaille Shackleton au Dr Heïdi Sevestre. Non seulement elle est proactive dans la protection des régions polaires en première ligne avec ses recherches révolutionnaires, mais elle fait preuve d’un esprit courageux ».

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