Plongée dans les imaginaires marins des enfants : enquête entre art et science

15/12/2024

8 minutes

PPR océan & climat

Comment les enfants perçoivent-ils l’océan et ses habitants ? Quels sont les liens entre leurs imaginaires marins, les représentations culturelles et les connaissances scientifiques ? Ces questions sont au cœur d’une recherche innovante menée par Mascha Canaux dans le cadre du Programme Prioritaire de Recherche Océan & Climat. Depuis 2023, son travail de thèse allie écologie, littérature et art pour explorer les relations entre les jeunes générations et la biodiversité marine.

Par Carole Saout-Grit et Laurie Henry

Art et science : une alliance pour transformer nos perceptions

Les imaginaires marins influencent souvent notre compréhension du monde et nos décisions. Ce constat est d’autant plus vrai chez les jeunes générations, souvent captivées par les poissons ou les grands mammifères marins mais peu sensibles aux créatures microscopiques de l’océan, aussi essentielles à l’équilibre des écosystèmes marins que largement méconnues.

Mascha a débuté un travail de thèse en 2023, au sein du laboratoire 3LAM (Langues, Littératures, Linguistique) de l’Université d’Angers pour élucider la façon dont les imaginaires marins sont souvent déconnectés des réalités scientifiques, et savoir comment y remédier.

Partage de récits des élèves au côté de Mascha Canaux, La Rochelle 2024 © E. Tamene 

Elle place au cœur de sa recherche les enfants âgés de 6 à 10 ans vivant dans les zones littorales de la France métropolitaine, une population clé pour comprendre comment les imaginaires marins se construisent, mais peu visible dans les études relatives aux humanités bleues.

À la croisée des humanités, des arts et des sciences écologiques, Mascha cherche à établir un état des lieux des imaginaires marins chez ces enfants, tout en confrontant leurs visions à des savoirs scientifiques. Pour ce faire, la perception des enfants aux milieux marins est étudiée par le biais de dessins et d’entretiens, ainsi que par l’analyse d’un corpus d’œuvres artistiques et littéraires – notamment celui des albums jeunesse. Ces supports révèlent non seulement les influences culturelles qui façonnent leurs représentations, mais aussi les lacunes dans leur compréhension des écosystèmes marins.

L’analyse détaille les concordances et les écarts entre les perceptions du vivant en milieu marin et les connaissances scientifiques sur le sujet. Les terrains d’enquête couvrent différentes zones océaniques et maritimes du territoire français métropolitain. L’objectif est de déterminer ce qui relève de perceptions locales ou nationales spécifiques, par opposition à ce qui est plus largement partagé entre différents lieux en raison de cultures communes.

Terrains de thèse : les écoles primaires du littoral

Vers un laboratoire écopoétique de récits bleus planctoniques

Un des résultats les plus frappants est l’absence quasi totale du plancton, à la fois dans les dessins des enfants et dans les analyses des œuvres artistiques et littéraires adressées à la jeunesse. Le plancton est pourtant scientifiquement connu pour être le premier maillon de la chaîne alimentaire et un élément clé de la régulation climatique.

Pour remédier à ce déficit, la recherche met en avant l’importance des arts éco-zoo-phyto-poétiques. En donnant une place centrale au plancton dans la littérature jeunesse, par exemple, il serait possible d’éveiller la curiosité et le respect des enfants pour ces êtres souvent perçus comme des « aliens ». L’objectif de réduire l’écart entre les savoirs scientifiques et les perceptions populaires, tout en cultivant une sensibilité écologique profonde, pourrait alors être atteint et encourager une meilleure prise de conscience des défis écologiques.

 

Exemples de dessins d’enfants collectés pendant la thèse de Mascha Canaux © Mascha Canaux

Un impact sur les politiques éducatives et culturelles

Financée pour trois ans par le PPR Océan & Climat, la thèse de Mascha est co-encadrée par Bénédicte Meillon du laboratoire 3LAM (Langues, Littératures, Linguistique) de l’Université d’Angers, et par Marion Verdoit-Jarraya et Philippe Lenfant du CEFREM (Centre de Formation et de Recherche sur les Environnements Méditerranéens) de l’Université de Perpignan.

Ce travail de recherche s’inscrit dans la démarche innovante portée par le PPR qui ambitionne de partager avec le grand public la découverte de l’océan et les enjeux sociétaux associés, et de connecter l’ensemble des citoyens à l’océan en associant art et science.

Cette grande enquête transdisciplinaire ouvre la voie à une transformation nécessaire de nos rapports au vivant. En mettant en lumière l’importance du plancton, elle pourra montrer comment des changements profonds dans nos imaginaires peuvent accompagner des actions concrètes pour préserver les océans. Les imaginaires marins des enfants ne sont pas seulement une curiosité, mais une clé pour repenser nos relations avec la nature et les générations futures.

Le plancton, premier maillon de la chaine alimentaire et élément clé de la régulation climatique.

Bien au-delà de la sphère académique, les résultats seront mis à profit dans le cadre de médiations scientifiques et seront susceptibles d’influencer les programmes éducatifs et les politiques culturelles. L’analyse approfondie des relations que les humains tissent avec les environnements océaniques et marins permettra également de tendre vers l’objectif énoncé par Vincent Doumeizel dans le Plankton Manifesto lancé en septembre 2024 à l’ONU : que les enfants en viennent à connaître le mot plancton aussi naturellement que les mots chat, chien et lion.


3 Questions à Mascha Canaux 

Pourquoi avoir voulu faire une thèse en sciences marines ?

J’ai découvert les sciences marines assez tardivement, même si ma passion pour l’écologie remonte à mon enfance. Ce sont les expériences sur le terrain qui m’ont plongée dans cet univers : j’ai visité des laboratoires, embarqué pour des missions en mer, récolté et observé du plancton, de la station de Brest à celle de Villefranche en passant par Marseille, Banyuls, Concarneau, etc. Cela m’a permis de mieux comprendre les enjeux liés à ces écosystèmes si complexes. Dans ma thèse, je ne produis pas directement de savoir en biologie, mais je m’appuie sur ses méthodes, grâce à l’encadrement d’une direction de thèse hautement qualifiée. Par exemple, j’utilise des approches quantitatives pour analyser précisément les espèces représentées dans les dessins d’enfants, qui fonctionnent comme un milieu fictif. Mon objectif est d’explorer ces dynamiques de la façon la plus fine possible, afin de mettre en valeur ce qui mérite d’être transmis dans la culture, et ainsi enrichir notre rapport au vivant.

Qu’est-ce qui t’a donné envie quand tu as postulé à ce sujet de thèse ? Quelles étaient tes motivations ?

Ce projet de thèse m’offrait la possibilité unique de mener une recherche en lien direct avec la société civile, à travers des études de terrain et de nombreux entretiens. J’ai été particulièrement motivée par l’opportunité d’explorer des thématiques encore peu investies, tout en m’inscrivant dans les enjeux soulevés par le PPR. Mon expérience en tant qu’animatrice dans un centre de loisirs m’a appris à construire des projets non seulement pour, mais surtout avec les enfants. L’environnement financier permet d’approfondir cette approche collaborative et d’établir un état des lieux approfondi des liens entre les enfants du littoral et leur milieu pour lequel il est essentiel d’être sur le terrain, d’adopter une posture de recherche-action et recherche-création.

Comment imagines-tu ton futur après cette thèse ?

Je souhaite poursuivre dans une voie qui tisse des liens entre les sciences et les arts, car je suis convaincue de leur complémentarité pour éveiller les sensibilités, notamment envers des espèces ou des écosystèmes souvent ignorés, non « charismatiques ». Mon ambition est de continuer à faire de la recherche au sein du CNRS ou en université, en profitant des opportunités transdisciplinaires qui se développent mais restent encore balbutiantes sur le plan méthodologique. Alors que des initiatives de ce genre fleurissent en nombre, il est indispensable de renforcer la littératie transdisciplinaire, en contribuant à la formation de chercheurs capables de naviguer avec rigueur entre des disciplines qui pourraient gagner à se côtoyer.


Référence : Canaux, Mascha, « Enquête transdisciplinaire sur les imaginaires marins chez les enfants des littoraux en France métropolitaine », thèse 2023-2026

Contact : mascha.canaux@univ-angers.fr

 

 

ces événements pourraient vous intéresser... tout voir