Par Laurie Henry
Les phoques de Weddell sont l’une des espèces les plus emblématiques de l’Antarctique. En plus d’être indéniablement charismatiques, leur aire de répartition est la plus méridionale de tous les phoques. Ils peuvent vivre jusqu’à 30 ans dans certaines des conditions les plus difficiles de la planète. Comprendre leurs tendances démographiques au fil du temps permet aux scientifiques de mieux comprendre les effets du changement climatique et de la pêche commerciale.
Les phoques de Weddell, un indicateur de la santé de l’Antarctique
En Antarctique, la population des phoques de Weddell de la baie d’Erebus en mer de Ross est la population de mammifères la plus méridionale au monde. L’emplacement de la population présente un intérêt particulier, car la mer de Ross est l’une des zones de pêche les plus productives de l’océan Austral, en particulier pour le krill* et la légine* antarctique (communément appelée bar chilien).
La population étudiée est idéale pour accroître la compréhension de la dynamique des populations d’espèces à longue durée de vie face au changement climatique et aux activité humaines. En effet, les phoques de Weddell sont une espèce indicatrice clé de l’océan Austral, c’est-à-dire un bioindicateur. En termes clairs il s’agit d’une espèce dont la présence ou la densité de population fournit des informations sur l’état d’un écosystème.
Concrètement les phoques de Weddell sont sensibles à la disponibilité de nourriture, et très attaché à leur site d’origine. Ainsi si les conditions environnementales changent, provoquant une diminution de glace de mer, le krill qui se trouve dessous diminuera également, poussant les phoques à migrer.
Une surveillance à long terme cruciale et toujours d’actualité
La population reproductrice des phoques de Weddell dans la mer de Ross a été étudiée de manière intensive depuis 1968. Les phoques ont été marqués individuellement, lors de la période d’élevage des petits pendant 4 décennies, avec une surveillance qui continue d’être effectuée chaque année.
La base de données long terme ainsi construite, qui comprend les données de plus de 28 000 individus marqués, contient des informations détaillées sur les populations et même aussi les animaux de manière individuelle, car identifiées par le marquage. L’objectif général de cette surveillance est d’évaluer comment la variation temporelle de l’environnement marin affecte la dynamique des populations de mammifères à longue durée de vie. C’est le cas par exemple des fluctuations climatiques à long terme comme les événements El Niño, ou des effets à court terme du climat local.
Des traits de vie qui ont évolués
Selon la récente étude de Jay Rotella (J. Rotella, 2022), chercheur à la Montana State University, les caractéristiques de la population des phoques de Weddell – telles que la composition des classes d’âge, la dispersion des animaux à partir de leurs sites de reproduction, l’âge de la première reproduction (entre 4 à 14 ans) et le taux de survie – ont changé au cours des 20 dernières années.
Plus précisément, les taux de survie sont relativement faibles au début de la vie, de sorte que seulement 20% des femelles d’une même année de naissance survivent et se reproduisent. Les conditions environnementales, ainsi que les caractéristiques de la mère (son âge, son âge à la première reproduction et son expérience reproductive), se combinent pour influencer les perspectives de survie des jeunes.
Néanmoins, Jay Rotella souligne que la « chance joue probablement un rôle de premier plan » par rapport à la variation des traits. La combinaison de la chance et des caractéristiques individuelles induit que les 20% se reproduisant ont un nombre de petits très différents au cours de leur vie (entre 1 à 23 petits).
Un premier constat plus précis
Cette recherche vient compléter une précédente étude révolutionnaire menée en 2021 par Rotella (M. LaRue et al., 2021). Il s’agissait alors de la première estimation directe de population, à grande échelle, jamais réalisée sur une espèce animale sauvage.
En 2021, Jay Rotella et son équipe, ainsi que plus de 330 000 scientifiques citoyens volontaires internationaux, ont utilisé des centaines d’images satellites à haute résolution couvrant de vastes zones de l’Antarctique afin de dénombrer les phoques de Weddell. Malheureusement, ils constatèrent une diminution de la population générale.
En Terre Victoria par exemple, bordant la mer de Ross, le nombre de phoques repérés dans le nord a chuté, passant de près de 2 000 dans les années 1970 à seulement quatre en 2018 ! Effectivement, les phoques se déplacent vers le sud, car leur habitat, la banquise côtière bien plus au nord, disparaît plus tôt en été. Ils doivent donc trouver refuge dans des zones plus au sud.
Associant les résultats de ces deux études, Jay Rotella nuance dans un communiqué : « Nous avons connu une forte baisse du nombre de phoques pendant quelques années, mais au cours des 15 dernières années, nous avons constaté une augmentation générale et notable de la reproduction de la population ». Les impacts des facteurs climatiques sur la survie et la persistance des phoques constituent un axe majeur des prochaines études.
Un prix soutenant et valorisant les efforts de recherches
Grâce à une subvention de 1,4 million de dollars de la National Science Foundation à la Montana State University, Jay Rotella poursuivra l’étude de cette population des phoques de Weddell en mer de Ross de 2022 à 2026.
L’équipe de recherche espère mieux comprendre la structure, la fonction et la génétique de la population et pouvoir fournir des informations clés pour prédire comment la population de phoques réagira aux changements environnementaux, et extrapoler à d’autres espèces.
*Krill : Plancton des mers froides, constitué de petits crustacés.
*Légine : poisson carnassier, vivant dans les eaux peu profondes où elle se nourrit de crustacés.