Les récifs coralliens sont de véritables trésors de biodiversité. On estime que plus d’un demi-milliard de personnes dans le monde en dépendent pour leur alimentation, leurs revenus et leur protection. Pourtant, face aux activités humaines entraînant surpêche, pollution et échauffement climatique, la biodiversité et les habitats côtiers sont soumis à de fortes pressions ayant entrainé leur diminution de 30 % à 60 %.
Protéger des écosystèmes aussi exceptionnels que les récifs coralliens est aujourd’hui une urgence et un impératif. Dans l’Océan Indien, de nouvelles solutions sont expérimentées mêlant observations en mer, innovations technologiques et développements numériques pour mettre au point de nouveaux indicateurs et des outils efficaces d’aide à la décision.
par Carole Saout-Grit et Laurie Henry
Des outils mathématiques et numériques au service de la protection des océans
En octobre 2022, Matteo Contini a rejoint l’île de la Réunion pour intégrer l’équipe de la Délégation Océan Indien (DOI) de l’Ifremer.
Diplômé de l’école Polytechnique de Milan en ingénierie mathématique et statistiques appliquées, il avait déjà travaillé sur l’île en septembre 2020, juste, après la période Covid, au titre de Volontaire en Service Civique (VSC). Il s’était alors consacré pendant deux ans au développement du projet de science citoyenne Seatizen, avec l’objectif de développer la collecte de données sur les récifs tropicaux grâce à la participation des usagers de la mer afin de quantifier les changements d’habitats, d’espèces dans ces écosystèmes.
Mais cette fois-ci, sa tâche s’annonce plus longue et plus complexe. Il entame en effet un nouveau chantier de trois ans, un travail de thèse durant lequel il va mettre ses compétences de mathématicien et d’informaticien de la donnée au service de la surveillance et de la protection de l’Océan Indien.
Une analyse approfondie de l’évolution des habitats de l’océan Indien
Souvent appelés « forêts tropicales de la mer », les récifs coralliens abritent des milliers d’espèces marines. Ils sont aussi sources de nombreux écosystèmes vitaux qui protègent les côtes contre les tempêtes et l’érosion, et fournissent aux communautés locales de multiples ressources et possibilités récréatives.
Face au défi que pose la protection de ces écosystèmes exceptionnels, les méthodes traditionnelles de surveillance montrent leurs limites. Les recensements visuels sous-marins (UVC) souvent pratiqués nécessitent l’expérience de plongeurs professionnels. Ils sont souvent coûteux et ne couvrent que de petites zones géographiques. Pour pallier ces insuffisances, de nouvelles technologies intégrant l’imagerie hyperspectrale*, la photogrammétrie*, et l’intelligence artificielle offrent des perspectives prometteuses pour une surveillance à grande échelle et plus précise des récifs coralliens.
Au cours de sa thèse, Matteo Contini développera une approche innovante pour surveiller plus spécifiquement l’évolution des récifs tropicaux dans l’océan Indien. Il tentera de produire des cartes temporelles détaillées des habitats marins (coraux, herbiers, sable, roches) et des classes du Global Coral Reef Monitoring Network (GCRMN), et d’identifier des espèces emblématiques telles que les concombres de mer et les oursins.
Pour atteindre cet objectif, il collectera de nombreuses données à différentes échelles : données satellite à grande échelle (plus de 100km) accessibles gratuitement depuis le premier programme satellitaire Landsat de 1972 ; données de moyenne échelle (moins de 10km) collectées par drones aériens ; données de fine échelle (moins de 1km) collectées par des planches autonomes (ASV) et projet de science citoyenne pour l’identification des espèces et des habitats.
Une partie des données sous-marines sera annotée et utilisée pour entraîner un algorithme d’apprentissage profond à fine échelle. Les prédictions issues de ce premier réseau de neurones serviront à alimenter un second réseau, qui analysera les images à l’échelle des drones. Le même procédé sera ensuite appliqué aux images satellitaires, capables de fournir des indices précis sur l’évolution des habitats coralliens et la distribution des espèces.
Financée pour 3 ans par le Programme Prioritaire de Recherche PPR Océan & Climat, cette thèse est une réponse au défi relatif au développement des programmes d’observation et de modélisation innovants, pluri-disciplinaires, multi-paramètres, multi-échelles et multi-acteurs. Placée sous la co-direction de Sylvain Bonhommeau (Ifremer/RBE DOI) et Alexis Joly (INRIA/LIRMM), elle porte l’ambition globale de fournir une meilleure information aux gestionnaires de l’environnement marin, et à plus long terme de renforcer les efforts de conservation des récifs coralliens à l’échelle mondiale.
3 Questions à Matteo Contini
Pourquoi avoir voulu faire une thèse en sciences marines ?
» Depuis mon enfance, j’ai été fasciné par les océans et leurs écosystèmes complexes. Pendant mes études, j’ai découvert comment les mathématiques pouvaient être appliquées à des problèmes concrets, y compris dans l’environnement. Faire une thèse en sciences marines combine mes compétences techniques avec mon intérêt profond pour la conservation marine. »
Qu’est-ce qui t’a donné envie quand tu as postulé à ce sujet de thèse ? Quelles étaient tes motivations ?
» J’ai élaboré ce sujet de thèse avec Sylvain Bonhommeau et Alexis Joly, attiré par son approche interdisciplinaire, mêlant écologie marine, IA et technologies innovantes. Mes missions précédentes à l’Ifremer ont éveillé en moi une passion pour l’application des techniques de Deep Learning et de traitement d’images. La possibilité de suivre l’évolution des récifs tropicaux et d’apporter des solutions concrètes pour leur protection m’a particulièrement motivé. »
Comment imagines-tu ton futur après cette thèse ?
» Après cette thèse, je souhaite continuer dans la recherche marine, en me concentrant sur la conservation et la gestion durable des écosystèmes marins. J’aimerais utiliser mes compétences en IA et analyse de données pour développer des outils innovants. »