Dans un contexte de pressions croissantes sur les écosystèmes marins, les mobilisations pour la protection de l’océan s’intensifient et se diversifient. Une thèse pionnière menée par Lucie Fortun dans le cadre du Programme Prioritaire de Recherche Océan & Climat explore les formes contemporaines de l’engagement citoyen pour l’océan et le rôle central des « Humanités bleues » dans cette dynamique.
par Carole Saout-Grit et Laurie Henry
Photo de couverture : Prise de sons au Groenland par Lucie Fortun durant la campagne Arctic Prism avec Unu Mondo 2024 – copyright : Thomas Bour
De nouvelles mobilisations pour l’océan
Au fur et à mesure des constats multiples sur un état dégradé de l’océan, de plus en plus de mobilisations environnementales en faveur de la protection de ce dernier voient le jour. Ces mobilisations prennent parfois des formes nouvelles plus concrètes, comme celles de véritables expériences en mer. L’engagement en mer, au-delà des simples préoccupations environnementales, forge une nouvelle forme de militantisme basée sur l’expérience physique et sensorielle.
Dans ce contexte, comprendre la transformation des mobilisations environnementales contemporaines pour l’océan est une clé pour mieux comprendre d’autres manières d’appréhender les enjeux maritimes, la gestion et la conservation de l’océan, et comment peuvent se structurer des alliances entre citoyens, ONG et scientifiques.
Cette démarche fait partie d’un champ d’études émergeant, appelé les « humanités bleues ». Dans le prolongement des humanités environnementales, les « humanités bleues » invitent à lier les approches et les pratiques de recherche avec la mise en œuvre d’enquêtes sensibles, la production de nouveaux récits, la prise en compte des liens et relations des éléments les uns avec les autres. Cette approche permet ainsi de parler de l’océan à partir des enjeux contemporains qui le traversent mais également de donner de nouvelles lectures de ce qui a pu le traverser.
Des enquêtes de terrain sur des zones écologiques sensibles
Lucie a orienté son parcours professionnel vers la mer en 2020, à l’issue de ses études en histoire et sciences politiques à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. En suivant un master Société et Biodiversité au Muséum National d’Histoire Naturelle et un stage au sein du laboratoire AMURE à l’IUEM de Brest, elle a pu prendre connaissance de la diversité des formes d’engagement, des modes d’actions et des structures qui se mobilisent pour l’océan.
Actuellement doctorante en anthropologie au laboratoire LADYSS à l’Université Paris Cité, Lucie travaille sur une thèse visant à analyser les dynamiques de mobilisations à travers l’évolution des sensibilités face aux enjeux océaniques.
Dans une approche interdisciplinaire reliant géographie, écologie, anthropologie et esthétique, elle envisage d’analyser les formes d’articulation entre expérience corporelle en mer et engagement politique. Sa thèse met en lumière des innovations sociales, techniques et organisationnelles qui facilitent l’engagement des citoyens pour la cause de l’océan, au travers notamment d’études de cas et de séries d’entretiens.
En particulier, l’étude des expériences de mobilisation dans des zones comme les océans polaires ou les outre-mer doit permettre de révéler la diversité des formes d’engagement et des sensibilités environnementales, ainsi que l’influence de ces mobilisations sur la scène internationale.
Un projet pionnier dans le champ des Humanités bleues
Ce travail de recherche s’appuie sur une méthodologie originale, associant observation participante, entretiens et cartographie des mobilisations. Il s’appuie sur des archives multimédias (vidéos, photographies, récits de vie, sons) pour documenter les initiatives en mer et les récits de ceux qui s’engagent pour l’océan, mais aussi sur des prises de son. Cette approche immersive porte une attention particulière à la dimension sensible de ces expériences pour en capturer ses « éprouvés » et mieux comprendre comment elles se transforment en actions concrètes.
Cette thèse de Lucie Fortun est encadrée par Denis Chartier (Université Paris Cité, LADYSS), Joanne Clavel (CNRS, LADYSS), et Alix Levain (CNRS, AMURE). Elle intègre les défis du programme de recherche PPR Océan et Climat, notamment en promouvant l’idée de « l’océan bien commun », un cadre où les ressources marines sont partagées et protégées pour le bien-être collectif.
Ce travail aspire à structurer le champ des Humanités bleues en France, contribuant à la reconnaissance internationale de la recherche francophone en sciences marines et sciences sociales. Cette recherche interdisciplinaire doit en effet éclairer la manière dont les mobilisations citoyennes peuvent accompagner et participer aux politiques de gestion et de conservation de l’océan. Une meilleure compréhension des processus par lesquels les expériences en mer et un engagement politique peuvent s’influencer l’un et l’autre, contribuant à la montée en puissance de la « citoyenneté océanique », invitera ainsi à reconsidérer notre rapport aux océans.
Référence : Fortun, Lucie, « Océanisation des mobilisations environnementales : corps, engagements, politiques », thèse 2023-2026
Contact : lucie.fortun@univ-brest.fr