Les câbles sous-marins à fibre optique transformés en sentinelles de l’océan

14/04/2025

9 minutes

PPR océan & climat

Face à l’accélération du changement climatique, aux pressions anthropiques croissantes et aux risques naturels, les systèmes d’observation des zones marines profondes et côtières sont devenus une nécessité. Pourtant, le suivi en temps réel reste limité faute d’infrastructures adéquates. Les travaux de recherche innovants menés par Amine Mohammedi, dans le cadre d’une thèse financée par le PPR Océan & Climat, explorent une approche prometteuse : utiliser les fibres optiques des câbles sous-marins existants comme capteurs acoustiques et thermométriques par la technologie DAS (Distributed Acoustic Sensing). Ce dispositif ingénieux ouvre la voie à des données en continu et à haute résolution, sans intervention en mer.

par Carole Saout-Grit et Laurie Henry

Photo de couverture : câble sous-marin à fibre optique

Certaines régions du globe, comme l’océan profond ou certains États insulaires, souffrent encore d’un déficit d’instrumentation en raison de leur éloignement et de leur isolement. Il en résulte des difficultés pour mettre en œuvre un suivi régulier. Les capteurs traditionnels sont en effet coûteux, ponctuels, souvent difficiles à déployer, et ne fournissent que des séries temporelles limitées. Observer l’océan dans toutes ses dimensions, de manière précise, étendue et durable, est un enjeu stratégique majeur.

Observer l’océan autrement : un contexte scientifique en pleine mutation

La France, comme le reste du monde, dispose de milliers de kilomètres de câbles sous-marins utilisés pour les télécommunications. Grâce à la mesure acoustique distribuée (acronyme DAS en anglais pour Distributed Acoustic Sensing), ces infrastructures passives peuvent être requalifiées en réseaux longs d’une centaine de kilomètres avec des capteurs répartis tous les quelques mètres.

Réseau des câbles sous-marins dans le monde © TeleGeography – https://www.submarinecablemap.com

La mise en place de cette requalification peut se faire sans déploiement en mer, sans énergie embarquée, et sans impact environnemental : l’unité d’acquisition est terrestre, peu coûteuse (~100 000 €) et autorise un suivi en temps réel à la vitesse de la lumière. En injectant un signal laser dans des fibres optiques standards, cette technologie innovante permet la mesure d’infimes variations de phase du signal rétrodiffusé (entre son aller et son retour entre la terre et le point de mesure en mer). Ces micro-variations sont générées par des ondes mécaniques ou thermiques, qui peuvent alors être interprétées comme des signaux sismiques , acoustiques ou de température.

Si de récentes études ont montré la capacité du DAS à détecter des vagues de surface, des passages de navires, des tempêtes ou des ondes internes, ces signaux restent «bruts». La conversion en métriques océanographiques utiles nécessite encore beaucoup de travail méthodologique, de calibration et de modélisation.

Un double objectif scientifique pour de plus larges résolutions

Depuis 2023, Amine se penche sur cette question et sur une analyse plus approfondie du potentiel du DAS comme nouvelle mesure opérationnelle d’observations de l’océan. Au cours d’un travail de thèse mené sur trois ans, il s’intéresse à deux types de signaux dominants dans les données DAS : celui à haute fréquence des ondes de surface à la côte, et celui à basse fréquence de l’évolution de la température de fond. Traiter ces deux signaux dans une approche transversale aidera à mieux comprendre les interactions entre les vagues de surface et la circulation océanique globale de fond.

Amine Mohammedi

L’étude haute fréquence (>0.1 Hz) des ondes de surface en zone côtière peut servir à mieux décoder le spectre des vagues à la côte. Grâce au DAS, il devient possible d’observer en continu l’hydro-morphodynamisme de plage, c’est-à-dire l’ensemble des interactions entre vagues, courants, topographie des fonds et transport sédimentaire près des côtes.

Des campagnes de calibration menées depuis 2023 sur le câble du Laboratoire Sous-Marin Provence Méditerranée (LSPM) de Toulon, de la plage jusqu’à 700 m de profondeur, ont permis de comparer les mesures DAS à des capteurs de pression ou de courant. Les résultats sont prometteurs puisque le DAS restitue avec précision la dynamique de la houle, et pourrait servir à modéliser la réponse du littoral aux tempêtes. À terme, cela conduirait à développer des modèles prédictifs de submersion ou d’érosion utiles à la gestion intégrée des zones côtières (GIZC).

Le second axe de recherche se concentre sur les mesures de température à haute résolution de l’océan profond avec le DAS. Grâce à sa sensibilité (de l’ordre du millikelvin) et aux signaux basse fréquence (<0.01 Hz) correspondant aux variations thermiques du fond marin, il devient envisageable de transformer un câble sous-marin en thermomètre géant de plusieurs dizaines de kilomètres de long.

Cette thermométrie inédite offre la possibilité de suivre, par exemple, l’évolution de la circulation océanique profonde, de déceler des ondes internes inertielles, ou encore de quantifier l’impact du réchauffement climatique à différentes profondeurs. Des expériences pilotes ont déjà permis de comparer les données DAS avec les capteurs du réseau T-MEDNET ou les campagnes ALBATROSS, montrant une forte corrélation à affiner par traitement de signal et analyse physique.

Un projet scientifique d’envergure nationale et internationale

Le croisement des deux volets d’étude sur les vagues et la température ouvre la voie à une analyse intégrée des interactions vagues–courants. Si cette thématique est encore peu explorée, elle est pourtant cruciale pour la compréhension des transferts d’énergie, de sédiments et de chaleur aux interfaces océan-atmosphère-fond marin. Elle répond également aux lacunes actuelles des systèmes d’observation, aussi bien en termes de résolution spatiale (pour une couverture du littoral aux abysses) que temporelle (pour des mesures en temps réel).

houle et tempête ©pexelsAmine mène sa thèse au sein du laboratoire Géoazur de l’Université de Nice, co-encadré par Anthony Sladen(Géoazur/CNRS), géophysicien spécialiste de la mesure DAS, Aurélien Ponte (LOPS/Ifremer), expert en océanographie physique et modélisation de la circulation, et Frédéric Bouchette (Laboratoire Géosciences/Université de Montpellier – Géosciences), expert de l’hydro-morphodynamique littorale.

Le projet est financé par la MITI (CNRS) dans le cadre de l’appel à projets CODAS, et intégré à deux défis du PPR Océan & Climat visant d’une part à développer des systèmes d’observation innovants, pluridisciplinaires, et interopérables, et d’autre part à améliorer la prévision des événements extrêmes et leur impact en outre-mer. Les travaux d’Amine s’insèrent dans une dynamique collaborative portée par les réseaux GLADYS, IR-ILICO, EMSO, JERICO-RI, ou encore l’initiative SMART Cables des Nations Unies.

Son travail est conçu pour être partagé sous forme de notebooks Python, de présentations scientifiques, mais aussi d’outils transférables à l’échelle globale, dans une logique open science. La technologie DAS, bien que jeune, pourrait ainsi devenir un standard d’observation océanographique combinant faible coût, haute précision et couverture spatiale inégalée. Une opportunité inestimable à l’heure où les océans n’ont jamais été autant au cœur de l’équation climatique.


3 Questions à Amine Mohammedi 

Pourquoi avoir voulu faire une thèse en sciences marines ?

Cette thèse est dans la continuité de mon parcours d’école d’ingénieurs centré sur le génie maritime et les sciences marines. J’ai développé mon intérêt pour ces dernières à travers le projet de TIPE en prépa, qui avait pour thématique l’océan. La découverte de la complexité des océans, des différents processus qui se superposent et contrôlent la dynamique de ce vaste et magnifique espace, a nourri mon souhait d’étudier les mécanismes physiques qui se produisent dans l’océan.

Qu’est-ce qui t’a donné envie de postuler à ce sujet de thèse ? Quelles étaient tes motivations ?

Ma formation en génie côtier et du littoral m’a permis de comprendre quelles sont nos limites actuelles pour comprendre les processus qui contrôlent la propagation de la houle, du large à la côte. Les appareils de mesure utilisés d’ordinaire pour mesurer les vagues et la température de l’eau ont une résolution spatiale et temporelle très limitée dans un milieu tel que l’océan, qui est très complexe à instrumenter. La technologie de détection acoustique distribuée sur câble à fibre optique a un fort potentiel pour s’affranchir de ces limites et pouvoir mieux comprendre et protéger notre océan. Pouvoir contribuer à un tel avenir me motive dans ce projet de thèse.

Comment imagines-tu ton futur après cette thèse ?

J’aimerais poursuivre en recherche postdoctorale et continuer à développer les usages de cette technologie très pertinente pour des questions scientifiques de fond mais aussi pour répondre aux enjeux du changement climatique

 

Référence : Amine Mohammedi, « DAS, un système d’Observation pluridisciplinaire des Océans (DASOO) », thèse 2023-2026

Contact : Amine.Mohammedi@geoazur.unice.fr

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