La pollution lumineuse est omniprésente dans nos sociétés modernes et perturbe gravement les écosystèmes marins. Des chercheurs mettent en lumière ses effets sur certains poissons et la modification de leur comportement en quelques nuits seulement. Plus alarmant, ces altérations sont également visibles sur leurs descendants. Renforcées par d’autres recherches sur les insectes et oiseaux, ces découvertes soulignent l’urgence de limiter les nuisances lumineuses. Des mesures concrètes sont nécessaires pour protéger la biodiversité et restaurer les équilibres naturels fragilisés.
Par Laurie Henry
La lumière artificielle dans les environnements nocturnes a transformé les paysages urbains et ruraux, bouleversant les rythmes naturels des écosystèmes. L’éclairage nocturne, qu’il provienne des infrastructures urbaines ou qu’il soit proche de celui de nos écrans domestiques, perturbe les cycles biologiques de nombreuses espèces. Une étude récente, publiée dans la revue Science of the Total Environment par des chercheurs du Max Planck Institute of Animal Behavior et de l’Institut d’Hydrobiologie de l’Académie chinoise des sciences, met en lumière des conséquences inattendues de cette pollution sur les poissons-zèbres (Danio rerio). Ces travaux révèlent des altérations comportementales profondes et transgénérationnelles liées à une exposition nocturne à des sources lumineuses, notamment dans le spectre bleu.
Les poissons en première ligne
Les poissons-zèbres constituent un modèle couramment utilisé en biologie comportementale et environnementale. La recherche s’est concentrée sur des niveaux de lumière artificielle simulant l’intensité des éclairages urbains tels que les réverbères. Ces niveaux, correspondant à environ 20 lux, sont typiques des environnements illuminés auxquels de nombreuses espèces sont exposées. L’objectif était de comprendre comment ces conditions perturbent les cycles biologiques naturels, en mettant l’accent sur les changements comportementaux à court terme et leurs possibles implications pour la génération suivante.
Pour mener cette étude, les chercheurs ont conçu un protocole rigoureux pour simuler les conditions d’exposition à la lumière artificielle nocturne. Ils ont utilisé 400 femelles poissons-zèbres, une espèce largement étudiée pour sa sensibilité aux stimuli environnementaux. Les poissons ont été répartis dans des aquariums soumis à dix régimes lumineux différents, incluant neuf longueurs d’onde du spectre visible (du rouge au bleu) et une lumière blanche standard, couramment émise par les éclairages urbains. Chaque régime lumineux était calibré à 20 lux, une intensité lumineuse typique des lampadaires et dispositifs électroniques à faible distance. Pendant huit nuits consécutives, les poissons ont été maintenus sous ces conditions afin d’analyser les effets de leur exposition prolongée à différentes couleurs de lumière.
Pour évaluer l’impact comportemental, les chercheurs ont utilisé un système de suivi automatisé sophistiqué capable de mesurer avec précision les mouvements des poissons et leur positionnement dans l’aquarium. Ce suivi a permis d’identifier des signes d’anxiété, notamment une réduction significative des déplacements, un regroupement accentué des individus et une thigmotaxie marquée (quand les poissons passent plus de temps près des parois, une réponse couramment associée au stress). Ces comportements ont été observés sous toutes les conditions lumineuses, mais les effets les plus prononcés et rapides ont été enregistrés sous l’exposition à la lumière bleue (470 nm), qui provoque des signes d’anxiété dès la cinquième nuit. Ces observations reflètent l’impact disproportionné de la lumière bleue (souvent émise par les écrans ou les LEDs) sur les cycles biologiques et les comportements naturels des animaux.
Une atteinte transgénérationnelle
L’impact sur la descendance de ces poissons zèbres a ensuite été regardé de près. Après l’exposition des femelles poissons-zèbres à la lumière artificielle nocturne, leur progéniture a manifesté des comportements atypiques, malgré un élevage placé dans des conditions lumineuses naturelles. Les larves issues de ces femelles présentaient une diminution significative de leur activité diurne, mesurée par des logiciels de suivi automatisé. Ce résultat montre que les impacts comportementaux de la pollution lumineuse ne se limitent pas à une exposition directe, mais se transmettent aussi à la descendance. Ming Duan, co-auteur de l’étude, souligne que ces altérations comportementales pourraient affecter la capacité des jeunes poissons à survivre dans leur environnement naturel, notamment en réduisant leur aptitude à explorer, à se nourrir ou à éviter les prédateurs.
Ces résultats pointent par conséquent vers des mécanismes épigénétiques, où les modifications environnementales influencent l’expression des gènes sans modifier leur structure. Aneesh Bose, également co-auteur de l’étude propose que le déficit de sommeil causé par l’exposition à la lumière joue un rôle clé dans cette transmission. Les poissons exposés à la lumière artificielle, en particulier dans le spectre bleu, subissent une perturbation prolongée de leurs cycles circadiens qui entraîne un stress biologique chronique. Ce stress pourrait réinitialiser certains processus épigénétiques dans les cellules reproductrices des femelles et affecter ainsi directement le développement comportemental de leurs descendants. Cette hypothèse ouvre de nouvelles perspectives quant à l’étude des impacts durables de la pollution lumineuse sur les écosystèmes.
Des implications écologiques préoccupantes
La lumière artificielle modifie également les habitats naturels, notamment dans les zones côtières et riveraines où de nombreuses espèces aquatiques dépendent de cycles lumineux naturels pour leurs comportements biologiques. Ces écosystèmes, souvent situés à proximité des activités humaines, subissent un éclairage nocturne continu émanant des infrastructures urbaines, des réverbères ou des installations industrielles. Cette intrusion lumineuse altère les rythmes circadiens des organismes, essentiels à des processus tels que la reproduction, la migration et l’alimentation. Par exemple, certaines espèces de poissons, de crustacés ou d’insectes aquatiques, sensibles à la lumière bleue, voient leurs comportements modifiés, ce qui perturbe les chaînes alimentaires et les interactions prédateurs-proies. Les conséquences de ces déséquilibres pourraient s’étendre à d’autres espèces dans les écosystèmes environnants et aggraver les effets cumulatifs de la pollution lumineuse.
Face à cette menace, les scientifiques soulignent l’urgence d’adopter des mesures concrètes pour limiter les impacts de l’éclairage artificiel. L’une des solutions les plus prometteuses consiste à réduire l’intensité lumineuse et à restreindre l’utilisation des longueurs d’onde dans le spectre bleu, particulièrement nocives pour la faune. Selon Ming Duan, la priorité devrait être donnée à des ajustements dans les zones proches des habitats naturels. Ces mesures incluraient la mise en place de luminaires orientés vers le sol, l’utilisation de filtres ou de technologies réduisant la diffusion de la lumière, et une réglementation stricte des éclairages nocturnes dans les zones protégées. De tels ajustements contribueraient non seulement à la préservation des écosystèmes aquatiques mais également à une gestion durable des interactions entre les activités humaines et l’environnement.
Ces résultats soulignent la nécessité d’un dialogue entre chercheurs, décideurs et citoyens pour adopter des pratiques responsables. Comme le conclut Li : « Nous avons la capacité d’agir dès maintenant pour protéger non seulement les écosystèmes actuels, mais aussi les générations futures ».
Source : Weiwei Li,et al., “Behavioural and transgenerational effects of artificial light at night (ALAN) of varying spectral compositions in zebrafish (Danio rerio)”. Science of The Total Environment, 2024; 954: 176336 DOI: 10.1016/j.scitotenv.2024.176336