La biodiversité marine décline à un rythme inquiétant. Entre la surpêche, la dégradation des habitats et le réchauffement climatique, mais aussi les pollutions et les espèces invasives, les écosystèmes côtiers sont soumis à des pressions anthropiques croissantes. Des données à la fois nombreuses et robustes sont nécessaires pour assurer le suivi des espèces marines et orienter la mise en place d’actions de planification et de protection. À l’Université de Montpellier, Simon Bettinger combine l’ADN environnemental et l’intelligence artificielle pour évaluer l’impact des vagues de chaleur marines sur la biodiversité côtière marine. Cette innovation pourrait orienter certaines stratégies de protection de la vie marine dans des zones sensibles comme la Méditerranée et le lagon de Mayotte.
Par Carole Saoul-Grit et Laurie Henry
Photo de couverture : Campagne de prélèvements sur le Rhône © S. Bettinger
Des vagues de chaleur qui bouleversent les océans
Le réchauffement climatique ne se limite pas à la terre ferme. Les mers côtières subissent également des hausses brutales de température lors de vagues de chaleur marines. Ces événements, de plus en plus fréquents, perturbent les équilibres écologiques et menacent des espèces qui peinent à s’adapter.
Face à ces défis, il devient crucial d’observer, de comprendre et d’anticiper les changements dans les écosystèmes marins. Loin des approches traditionnelles de comptage ou de suivi visuel, de nouvelles méthodes fondées sur l’analyse de traces génétiques dans l’environnement ouvrent un accès inédit à la biodiversité marine. À Montpellier, des scientifiques exploitent ces outils innovants pour mieux prédire l’état des écosystèmes côtiers et guider les décisions de conservation.
La Méditerranée, un écosystème en péril
Le littoral méditerranéen est un exemple frappant de la fragilité des écosystèmes marins. Malgré sa richesse exceptionnelle, cette région est sous pression : pêche intensive, urbanisation galopante et réchauffement climatique mettent en danger ses habitats côtiers.
Si 9% des eaux méditerranéennes sont désormais dans des Aires Marines Protégées désignées (source Marine Conservation Institute), une évaluation réalisée en 2020 par le Réseau méditerranéen des gestionnaires d’aires marines protégées (MedPAN) et le Centre d’Activité Régional pour les Aires Marines Protégées (SPA/RAC) a constaté que la surface cumulée des zones d’interdiction, d’interdiction de prise ou d’interdiction de pêche des AMP ne représente que 0,04 % de la superficie totale de la région. La protection des eaux méditerranéennes reste donc largement insuffisante face à l’urgence de la situation.
Pour mieux comprendre et protéger ces milieux, Simon Bettinger, doctorant à l’Université de Montpellier, combine ADN environnemental (ADNe) et intelligence artificielle pour évaluer l’impact des vagues de chaleur sur la biodiversité marine et orienter les stratégies de protection dans des zones sensibles.

Carte de richesse spécifique obtenue à partir d’échantillonnage ADNe en 2023 © Martin Paquet, MARBEC
Les bases de données ADNe s’accumulent depuis plusieurs années, mais restent encore sous-exploitées. Comment analyser ces données brutes, souvent incomplètes ? Comment interpréter des séquences non référencées dans les bases génétiques, surtout dans des zones mal connues comme les habitats profonds ? C’est tout l’objet des nouveaux travaux de recherche menés par Simon.
Une thèse à la croisée des sciences
La thèse de Simon, démarrée en 2024, s’appuie sur des outils innovants pour analyser les données ADNe. Il s’agit de mieux classer les espèces, modéliser leur répartition et comprendre leurs dynamiques saisonnières. Son terrain d’étude couvre des zones particulièrement vulnérables aux vagues de chaleur comme les calanques de Marseille ou les récifs profonds de Mayotte.
L’une des grandes difficultés de ce travail est d’identifier des fragments d’ADN qui ne correspondent à aucune espèce répertoriée dans les bases de données actuelles. Pour cela, Simon utilise des méthodes d’intelligence artificielle, initialement conçues pour analyser du texte, qu’il adapte à l’ADN. Ces outils permettent de reconnaître des « mots » ou des « phrases » génétiques, même à partir de séquences très courtes ou incomplètes.

Simon Bettinger en campagne de prélèvements à Palavas © S. Bettinger
Des habitats profonds, refuges potentiels pour la biodiversité
Les récifs mésophotiques et rariphotiques, situés à des profondeurs où la lumière est faible, pourraient jouer un rôle clé dans la protection de la biodiversité marine. Ces habitats, moins exposés aux vagues de chaleur, constituent potentiellement des refuges pour certaines espèces côtières. Mais pour cela, il est essentiel de les identifier, les étudier et les protéger efficacement.
Simon analyse les variations temporelles des communautés marines en lien avec les saisons, les vagues de chaleur marines et l’activité humaine. Grâce à des échantillons d’ADNe collectés depuis 2021 dans les calanques, il étudie les évolutions de la composition des espèces, à l’intérieur et à l’extérieur des réserves marines. Ces recherches pourraient confirmer l’hypothèse selon laquelle les habitats profonds servent de refuges climatiques.
Une alliance entre écologie et technologie
Cette thèse, menée au sein de l’UMR MARBEC à l’Université de Montpellier, s’inscrit dans les objectifs du Programme Prioritaire de Recherche (PPR) Océan & Climat. Elle vise à anticiper les effets du changement climatique sur les écosystèmes marins. Co-encadrée par David Mouillot (MARBEC) et Rodolphe Devillers (ESPACE-DEV – IRD), cette recherche allie écologie, intelligence artificielle et robotique sous-marine, avec l’utilisation de véhicules autonomes et de systèmes de pompage ADNe.
L’ambition est claire : accompagner le développement d’aires marines protégées plus résilientes et adaptées aux menaces actuelles et futures. Grâce à cette approche innovante, la protection de la biodiversité marine pourrait entrer dans une nouvelle ère.
3 Questions à Simon Bettinger
Pourquoi avoir voulu faire une thèse en sciences marines ?
J’ai toujours été très curieux à propos de l’océan, et aussi loin que je me souvienne, j’ai voulu en faire le cœur de mon métier. Cette curiosité et cette soif d’en savoir plus sur les milieux que je côtoie depuis mon enfance m’ont d’abord poussé vers la recherche. Au fil de ma formation, la prise de conscience des enjeux environnementaux et des urgences climatiques et biologiques m’a conforté dans mon choix, et m’a donné envie d’apporter ma pierre à l’édifice de la conservation à travers l’étude des milieux marins. Faire partie d’une nouvelle génération de chercheurs est pour moi l’occasion de participer à faire avancer notre manière de voir et de conserver la biodiversité, en mer et ailleurs.
Qu’est-ce qui t’a donné envie de postuler à ce sujet de thèse ? Quelles étaient tes motivations ?
Au cours de mon stage de M2, j’ai beaucoup été au contact de données d’ADN environnemental. La rapidité de mise en œuvre et l’exhaustivité de cette méthode m’ont paru être des qualités essentielles à la mise en œuvre de protocoles de conservations efficaces, qui nécessitent une bonne couverture, ainsi que des informations sur des espèces clés mais cryptiques. Le sujet de thèse proposé balaie justement cette problématique, puisqu’il tire le plein potentiel des inventaires issus d’ADNe, notamment à travers la modélisation.
Comment imagines-tu ton futur après cette thèse ?
En sortant de thèse, j’espère avoir l’occasion d’appliquer concrètement les connaissances acquises sur la biodiversité marine à des actions de conservation. J’aimerais aller plus loin que la recherche fondamentale pour m’impliquer plus directement dans la protection de l’environnement.
Référence : Simon Bettinger, « La protection des récifs mésophotiques et rariphotiques méditerranéens et tropicaux comme solution pour l’atténuation des effets du changement climatique sur la biodiversité marine », thèse 2024-2027
Contact : sbettinger33@gmail.com