La survie des larves de hareng menacée par le stress climatique en Mer Baltique

27/01/2025

8 minutes

océans et climat

Les bouleversements climatiques actuels affectent sévèrement les écosystèmes marins. Les larves de hareng, un maillon clé de la chaîne alimentaire océanique, sont particulièrement vulnérables et doivent faire face à une combinaison de stress environnementaux qui compromettent leur développement et leur survie.

Par Laurie Henry

La biodiversité planétaire est fragile, et les écosystèmes marins reposent sur un équilibre délicat où chaque espèce joue un rôle clé. Parmi elles, le hareng est un petit poisson d’une importance cruciale. Il occupe une place centrale dans les chaînes trophiques puisque ses larves sont une nourriture essentielle pour de nombreux prédateurs marins. Elles sont également une source importante de protéines pour les macareux moines (Fratercula arctica), des oiseaux marins qui dépendent de ces petits poissons pour nourrir leurs poussins. Chez les mammifères marins, les phoques gris (Halichoerus grypus) consomment régulièrement des harengs, y compris leurs larves, pour maintenir leur masse corporelle et leur énergie. Du côté des poissons carnivores, le cabillaud de l’Atlantique (Gadus morhua) est un grand consommateur de harengs et de ses larves en particulier.

Pourtant, le changement climatique menace la survie de ces larves de harengs si vulnérables. Une équipe de chercheurs – dirigée par Dr. Andrea Franke du Helmholtz Institute for Functional Marine Biodiversity à Oldenburg, en collaboration avec le GEOMAR Helmholtz Center for Ocean Research Kiel et l’Université de Kiel – a étudié les effets combinés de stress climatiques et biologiques sur les larves de hareng de la mer Baltique. Leur étude, publiée dans Science of the Total Environment, révèle des défaillances biologiques alarmantes et soulève des questions essentielles sur la capacité des écosystèmes marins à résister aux pressions anthropiques croissantes.

Des larves en détresse : une réaction moléculaire entravée

Pour saisir l’impact des stress environnementaux sur les larves de hareng, l’équipe a conçu une expérience rigoureuse, en exposant les larves à trois scénarios distincts – une hausse de température simulant une vague de chaleur, la présence de bactéries pathogènes, et une combinaison de ces deux stress – l’objectif étant d’analyser comment ces conditions influencent les mécanismes biologiques fondamentaux des larves.

Résumé graphique du protocole expérimental mis en place © A. Franke et al., 2024

Les scientifiques se sont concentrés sur trois types d’analyses. D’abord, ils ont étudié l’expression génétique qui régule la production de protéines nécessaires pour réagir aux stress. Ensuite, ils ont examiné les microARN, de courtes molécules jouant un rôle clé dans l’activation ou l’inhibition des processus cellulaires. Enfin, ils ont analysé le microbiome des larves à l’aide de techniques génétiques, afin d’identifier les microbes présents sur et dans les spécimens. L’ensemble de ces méthodes a permis une évaluation complète des réponses biologiques des larves aux changements environnementaux.

Les résultats ont révélé un contraste frappant : lorsqu’elles sont exposées à un seul stress (comme la chaleur ou les bactéries), les larves présentent une réduction significative de l’expression génétique, un mécanisme interprété comme une réponse cellulaire visant à minimiser les dommages induits par le stress climatique ; en présence de stress combinés, cette réaction disparait totalement. L’incapacité des larves à activer ces mécanismes protecteurs pourrait conduire à des dommages irréversibles aux protéines et à l’ADN, et compromettre leur développement.

Nombre de gènes exprimés différemment (DEGs) dans les comparaisons présentant plus de 50 DEGs. Les gènes dont l’expression est augmentée apparaissent en rouge, tandis que ceux dont l’expression est diminuée sont en bleu (Hc : high control – Nc : normal control – N val : high V. alginolyticus
N val : normal V. alginolyticus) © A. Franke et al., 2024

La fragilité des écosystèmes marins face à l’acidification et au réchauffement

En outre, la vulnérabilité des larves de hareng face à l’acidification des océans et au réchauffement climatique a été étudiée dans ces travaux. L’augmentation du CO2 dans l’atmosphère, à l’origine de l’acidification des eaux marines, perturbe gravement le développement des larves en altérant leur capacité à former des structures calcifiées. Ces structures (comme l’otolithe essentiel à l’équilibre et à la navigation des poissons) deviennent fragiles et rendent les larves plus exposées à la prédation, limitant leurs chances de survie. Ce phénomène s’ajoute au stress thermique déjà observé, qui perturbe les mécanismes biologiques de régulation et de croissance des jeunes individus.

Les effets en cascade de ces perturbations vont bien au-delà des larves elles-mêmes, puisqu’une diminution significative de leurs populations pourrait déséquilibrer des chaînes trophiques entières. Par ailleurs, en tant qu’espèce clé dans le cycle des nutriments marins, leur déclin compromettrait également la productivité dans les océans, en limitant la distribution de nutriments nécessaires à la croissance des phytoplanctons. Ces végétaux microscopiques sont à la base de la chaîne alimentaire et jouent un rôle crucial dans la séquestration du carbone et le maintien de l’équilibre écologique.

En complément, les auteurs montrent également dans cette étude que les conditions expérimentales (température élevée, exposition à Vibrio anguillarum ou les deux combinés) modifient significativement les communautés bactériennes des larves de hareng. Par exemple, une température élevée favorise l’expansion de certains genres bactériens au détriment d’autres, entraînant des déséquilibres dans le microbiome naturel des larves. Les auteurs concluent que ces altérations bactériennes pourraient affaiblir les larves en compromettant des fonctions clés comme l’immunité et le métabolisme, et augmenter ainsi leur vulnérabilité dans un environnement marin déjà fragilisé par le changement climatique.

Les différentes communautés de bactéries associées aux larves, en fonction des traitements appliqués © A. Franke et al., 2024

En reliant ces données, l’étude met en lumière la complexité des interactions entre les stress climatiques. Chaque facteur, qu’il s’agisse de l’acidification, du réchauffement ou des infections, contribue à fragiliser un écosystème déjà sous tension.

Une réponse globale pour préserver les écosystèmes marins

Les défis posés par le stress climatique sur les larves de hareng exigent une mobilisation mondiale qui dépasse les actions isolées. Comme le souligne Dr. Andrea Franke, « les réponses aux multiples stress environnementaux nécessitent des approches intégrées prenant en compte la complexité des interactions écosystémiques ». La mise en œuvre de politiques climatiques ambitieuses doit être accompagnée de solutions locales, telles que la protection des zones de frai et la réduction des pollutions côtières, qui agissent comme des leviers pour améliorer la résilience des espèces marines.

La collaboration scientifique est également essentielle pour anticiper les conséquences à long terme du changement climatique sur les populations de harengs et l’ensemble des chaînes trophiques. Les nouvelles technologies, comme l’analyse génétique des microbiomes marins, offrent des outils précieux pour surveiller en temps réel l’état des écosystèmes et ajuster les mesures de conservation. En renforçant le dialogue entre les scientifiques et les décideurs, il devient possible de prioriser des interventions ciblées, adaptées à chaque région et aux besoins spécifiques des espèces menacées.

Au-delà des enjeux écologiques, cette problématique interroge profondément nos modèles de gestion des ressources naturelles. Protéger les harengs, et par extension les écosystèmes marins, ne consiste pas seulement à répondre à une crise environnementale, mais à repenser notre cohabitation avec la nature. Si les mesures nécessaires ne sont pas rapidement mises en place, les déséquilibres observés aujourd’hui pourraient s’étendre à d’autres écosystèmes vitaux. Cette prise de conscience globale pourrait marquer le début d’une nouvelle ère de responsabilité écologique, guidée par des décisions fondées sur des données scientifiques solides et une volonté de garantir un avenir durable pour les générations futures.


Source : Andrea Franke et al., “Climate challenges for fish larvae: Interactive multi-stressor effects impair acclimation potential of Atlantic herring larvae”, Science of The Total Environment (2024).

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