La fragmentation des plastiques mesurée pour la première fois en mer du Japon

21/07/2025

8 minutes

océans et technologies

Nos déchets se dégradent lentement dans les océans et forment des milliards de microplastiques, des fragments plastiques invisibles à l’œil nu. Issus d’une lente dégradation des macroplastiques les plus gros, leur formation implique des processus nombreux et complexes. Comprendre où et comment ces microplastiques se forment en mer est pourtant essentiel pour évaluer leur impact sur les écosystèmes marins, et orienter des stratégies de lutte contre cette pollution diffuse. Une nouvelle étude estime pour la première fois le taux de fragmentation des microplastiques en mer du Japon.

par Laurie Henry

Photo de couverture : © Shutterstock.com/olenalavrova

Les microplastiques envahissent désormais tous les océans, des zones littorales les plus densément peuplées jusqu’aux abysses. Leur présence massive résulte d’un cycle de transformation complexe le long duquel les macroplastiques les plus gros – exposés aux UV, aux courants et aux organismes marins- se fragmentent progressivement. Si la dynamique précise de cette dégradation en mer reste largement méconnue, une récente étude menée en mer du Japon apporte quelques éléments clés sur le sujet. Ces travaux permettent d’estimer pour la première fois, un taux de fragmentation en milieu marin.

Une pollution massive provenant des fleuves asiatiques

La mer du Japon est au cœur d’un véritable entonnoir de pollution plastique. Deux des plus grands fleuves d’Asie, le Yangtsé et le fleuve Jaune, figurent parmi les principaux vecteurs de cette contamination. À eux seuls, ils déversent chaque année dans les eaux bordant la Chine, des volumes de déchets plastiques gigantesques : 1,16 million de tonnes pour le Yangtsé, 469 000 tonnes pour le fleuve Jaune. Ces chiffres, sans équivalent à l’échelle régionale, éclipsent largement les apports directs d’autres rivières environnantes estimés à un maximum de 1 300 tonnes par an.

Une fois rejetés en mer, ces déchets sont transportés par les courants océaniques. Le courant de Tsushima, qui entre en mer du Japon par le détroit du même nom, joue un rôle majeur en déplaçant ces plastiques vers le nord-est. Ce flux marin entraîne avec lui des déchets flottants de toutes tailles : des macroplastiques visibles jusqu’aux microplastiques invisibles mesurant moins de 5 mm ! Ce mécanisme naturel de redistribution transforme les zones côtières en véritables zones d’accumulation, en faisant un cadre d’étude privilégié pour analyser les processus de fragmentation des plastiques en mer.

Une approche combinant observations et modélisation numérique

Afin de comprendre un peu mieux les processus de ces fragmentations plastiques, une équipe de chercheurs menée par Hiroki Takeda et Atsuhiko Isobe de l’Université de Kyushu a déployé une méthode spécifique alliant observations directes et simulations numériques.

Une vaste campagne d’échantillonnage a eu lieu le long des côtes japonaises entre 2014 et 2021. Plus de 530 stations de prélèvement ont été réalisées à l’aide de filets neustoniques, conçus pour collecter des particules flottantes et capturer des fragments de 0,3 mm de diamètre et plus. Chaque échantillon a été analysé en laboratoire : identification des polymères par spectroscopie infrarouge, et mesure de la taille des fragments via un microscope optique. Ce travail minutieux, publié dans la revue Marine Pollution Bulletin, a permis de dresser une carte précise des tailles de microplastiques (MiPs) en mer du Japon. Il révéle une diminution graduelle de leur dimension vers le nord-est, suggèrant une fragmentation continue des macroplastiques (MaPs) lors de leur dérive.

En parallèle de ces mesures directes, un modèle numérique de suivi des particules a été développé sur cinq années. Des simulations complexes ont pris en compte les courants océaniques, la dérive de Stokes* provoquée par les vagues, l’effet du vent sur les déchets flottants, ainsi que les phénomènes d’échouage et de retour en mer. Elles reproduisent également la conversion des MaPs (macroplastiques) en MiPs (microplastiques) et la disparition progressive de ces derniers, soit par fragmentation en particules très fines (et trop fines pour être détectées), soit par sédimentation.

« En confrontant les données du terrain aux résultats de la modélisation, nous avons pu estimer le temps de fragmentation des plastiques en mer, une avancée inédite », souligne Atsuhiko Isobe.

Une fragmentation continue en mer

Jusqu’ici, les scientifiques estimaient que la fragmentation des plastiques se produisait essentiellement sur les plages (quand les plastiques sont immobiles et exposés en continu aux rayons UV ou aux chocs des vagues) et qu’elle était atténuée en mer, du fait des courants et d’une moindre exposition solaire.

Mais cette nouvelle étude montre que le processus de fragmentation des plastiques est bien plus actif en pleine mer. Les chercheurs ont introduit dans leur modèle un paramètre clé pour évaluer la part de la fragmentation se déroulant dans l’eau par rapport à celle sur les côtes. Les simulations révèlent qu’un taux de fragmentation en mer équivalant à 20 % de celui observé sur les plages correspond le mieux aux données collectées.

Temps depuis la transformation des macroplastiques en microplastiques selon deux scénarios : α=1 (fragmentation seulement sur les plages : a et b) et α=0 (pas de fragmentation en mer : c et d). Les cartes montrent les résultats sur 5 ans et leurs moyennes par zone géographique. Les couleurs indiquent la durée. © Hiroki Takeda et al., 2024

Cette proportion est significative : en mer, les plastiques subissent une exposition prolongée aux rayons ultraviolets, au mouvement des vagues et aux interactions avec les organismes marins. Des études antérieures avaient déjà mis en évidence des phénomènes comme la fragmentation digestive, où des espèces telles que le krill et certains amphipodes réduisent les plastiques ingérés en particules plus petites. « Ces mécanismes biologiques et physiques expliquent en partie la fragmentation continue des microplastiques durant leur dérive », précise Hiroki Takeda.

Répartition géographique de la taille médiane des microplastiques (en mm) © Hiroki Takeda et al., 2024

Les données révèlent également une diminution progressive de la taille médiane des MiPs, passant d’environ 1,77 mm au sud de Kyushu à 1,25 mm près du détroit de Tsugaru. Cette tendance confirme l’action combinée du transport océanique et de la dégradation en mer, réduisant lentement mais sûrement la taille des plastiques flottants.

Un taux de fragmentation inédit et quantifié

Pour la première fois, un taux de fragmentation des microplastiques en milieu marin a pu être estimé sur cette région de la mer du Japon. En analysant la relation entre la taille des MiPs collectés et le temps de dérive modélisé, les chercheurs ont calculé un taux « apparent » de réduction de taille d’environ 1,0 mm tous les 100 jours. Ce rythme de fragmentation implique qu’un microplastique de 5 mm pourrait atteindre une taille inférieure à 0,3 mm – seuil de détection des filets d’échantillonnage – en seulement 1,1 à 2,6 années.

Temps estimés, à partir de particules modélisées, pour qu’un macroplastique devienne un microplastique (horizontal) et pour que ce microplastique disparaisse de la surface (vertical). © Hiroki Takeda et al., 2024

Les auteurs précisent que la durée de vie totale des microplastiques flottants, avant qu’ils ne disparaissent de la surface par fragmentation ou sédimentation, serait comprise entre 4,7 et 12,2 ans. Ces estimations sont cohérentes avec les âges de microplastiques relevés par Okubo et al. (2023) les situant généralement sous les 5 ans. Si le modèle met en évidence la contribution dominante des plages, où la fragmentation est quatre à cinq fois plus rapide qu’en mer, la dégradation océanique reste significative et doit être intégrée dans les modèles globaux de dispersion des plastiques. « Ces chiffres nous offrent une base quantitative pour comprendre le devenir des plastiques en mer du Japon, une étape essentielle pour évaluer les risques écologiques », insiste Atsuhiko Isobe.

La mise en lumière de ces dynamiques permet d’affiner les prévisions sur la distribution future des plastiques en mer. Elle souligne aussi l’urgence de limiter les apports en amont, avant que ces déchets n’entrent dans le cycle océanique complexe révélé par cette étude. Si cette recherche se concentre sur la dynamique physique des plastiques en mer, elle ne traite pas des impacts sanitaires des microplastiques, un enjeu qui mobilise aujourd’hui de nombreuses recherches en toxicologie et santé publique.


* La dérive de Stokes correspond au déplacement progressif d’eau et d’objets flottants en surface, provoqué par le mouvement circulaire des vagues. Elle fait dériver plastiques et débris marins sur de longues distances.

Source : Hiroki Takeda and Atsuhiko Isobe, “Quantification of ocean microplastic fragmentation processes in the Sea of Japan using a combination of field observations and numerical particle tracking model experiments”. Marine Pollution Bulletin, Volume 208, November 2024, 117032

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