Les zones humides côtières, cruciales pour la biodiversité et la protection contre les inondations, subissent une pression croissante due au dérèglement climatique et aux activités humaines. Le delta du Mississippi, qui abrite 41% des marais côtiers des États-Unis, est particulièrement menacé par la montée du niveau de la mer et les événements climatiques extrêmes. Les marais risquent de s’effondrer, provoquant une crise écologique aux conséquences durables. Ce constat appelle à une gestion urgente pour freiner les pertes et restaurer des écosystèmes vitaux.
par Laurie Henry
Photo de couverture : Delta du Mississipi avec un marais présentant un anneau de végétation sain entourant une zone qui dépérit. © Louisiana Department of Wildlife and Fisheries
Une étude récente menée par des chercheurs de la Louisiana State University et publiée dans Nature Communications révèle les causes et les conséquences d’un déclin massif de la végétation dans la région du Mississipi. Déclenchée par une sécheresse aiguë en 2012, cette dégradation de la couverture végétale, exacerbée par l’incursion d’eau salée, soulève des inquiétudes quant à la résilience future des marais face aux changements climatiques.
Un écosystème sous pression
Le delta du Mississippi, situé dans le sud-est des États-Unis, est une vaste région de zones humides, cruciale pour la stabilité des côtes du Golfe du Mexique. Il joue un rôle fondamental dans la prévention des inondations, la filtration des eaux, et la fourniture d’habitats pour une diversité impressionnante de faune, dont des oiseaux migrateurs, des poissons et des mammifères aquatiques. Les marais agissent comme une barrière naturelle contre les tempêtes et les ouragans qui frappent régulièrement la côte. Mais ses fonctions écologiques essentielles sont aujourd’hui gravement menacées par la montée rapide du niveau de la mer et les effets croissants du dérèglement climatique. Selon la nouvelle étude, la combinaison de facteurs climatiques extrêmes et de la subsidence du sol (affaissement progressif du sol causé par la compaction ou l’érosion) a mis ces écosystèmes sous une pression sans précédent, rendant leur avenir incertain.

(a), (b) : Images aériennes de l’été 2016 – (c) : Image d’un peuplement de Phragmites après dépérissement avec un peuplement sain en arrière-plan – (d),(e) : Imagerie satellite de la station d’échantillonnage 0162 du Coastwide Reference Monitoring System dans le delta inférieur du Mississippi. © T. Elsey-Quirk et al., 2024
La montée des eaux et l’augmentation de la fréquence des sécheresses, notamment l’épisode sévère de 2012, ont causé des dommages profonds à la végétation qui assure la stabilité des marais. Phragmites australis, une espèce de roseau qui domine largement la couverture végétale, est particulièrement vulnérable à ces bouleversements. Le problème majeur réside dans l’intrusion d’eau salée qui, en plus d’inonder les marais, sature les sols, provoquant ainsi un stress osmotique sur les plantes (déséquilibre hydrique des cellules végétales dû à une salinité excessive). Les chercheurs ont constaté qu’en 2012, une combinaison de sécheresse et de salinité a provoqué un déclin brutal de cette espèce pourtant essentielle à la résilience des marais. Les zones les plus affectées, inondées de manière chronique, ont vu leur capacité de récupération fortement réduite.
Une analyse à long terme des facteurs environnementaux
Afin de mieux comprendre les mécanismes provoquant le déclin des marais du delta du Mississippi, les chercheurs ont utilisé une méthodologie basée sur 16 ans de données environnementales collectées entre 2007 et 2022. Ces données proviennent du Coastwide Reference Monitoring System (CRMS), un réseau de stations de surveillance réparties sur toute la côte louisianaise. Ces stations mesurent divers paramètres comme la couverture végétale, les niveaux d’inondation, la salinité de l’eau et les changements d’élévation des marais. Grâce à ces mesures détaillées et régulières, les chercheurs ont pu établir des liens précis entre les conditions environnementales et la santé de la végétation, en se concentrant notamment sur les périodes de croissance critique pour les plantes, entre mars et octobre.

a. Localisation des marais ayant connu un dépérissement, aucun dépérissement ou pour lesquels il manquait de données au cours de la période de dépérissement, 2012-2017, d’après les données du Coastwide Reference Monitoring System où Phragmites australis était une espèce dominante dans la communauté (> 20 % de couverture), Google Earth, 2023. b. Débit saisonnier du fleuve Mississippi, Baton Rouge, LA, 2007-2022. © T. Elsey-Quirk et al., 2024
L’analyse des données a montré que les zones dominées par Phragmites australis ont été particulièrement touchées par l’augmentation de la fréquence et de la profondeur des inondations. En particulier, les zones les plus affectées ont vu la hauteur des inondations augmenter de 15 cm en moyenne, avec des périodes de saturation des sols plus longues, notamment entre mai et juillet. Ces périodes critiques coïncidaient également avec des pics de salinité, atteignant des niveaux menaçants pour la végétation. Les chercheurs ont observé que l’incursion d’eau salée en 2012, provoquée par une combinaison de sécheresse extrême et de faible débit du fleuve Mississippi, a exacerbé ces conditions. En outre, les tempêtes tropicales, comme l’ouragan Isaac, ont aggravé la situation en apportant des volumes d’eau supplémentaires, saturant davantage les marais déjà vulnérables. Cette combinaison de facteurs environnementaux a contribué à un déclin prolongé de la végétation, un phénomène que l’équipe de recherche a pu documenter grâce à l’accès à ces données de long terme.
Des conséquences durables pour l’écosystème
Les résultats de l’étude mettent en lumière l’ampleur des dégâts subis par les marais du delta du Mississippi, révélant un déclin massif de la couverture végétale et une récupération très limitée. En 2012, lors de la sécheresse extrême, les Phragmites australis, qui représentaient entre 20 et 80 % de la végétation dans les zones touchées, ont subi une mortalité drastique. Cinq ans plus tard, en 2017, ces marais n’avaient retrouvé qu’une partie de leur couverture végétale, et la situation ne s’est guère améliorée depuis. Dans les marais les plus affectés, la couverture des Phragmites est passée de 79 % en 2011 à seulement 25 % en 2022, soit une diminution de 68 % sur une période de 16 ans. En parallèle, la biodiversité végétale de ces marais a également diminué de façon marquée. Le nombre d’espèces présentes a chuté, passant de 11 à 14 espèces avant 2012, à moins de 7 espèces entre 2019 et 2022. Ces pertes de biodiversité sont particulièrement préoccupantes, car elles augmentent la vulnérabilité des marais à d’autres perturbations.
Ce déclin de la végétation a eu un effet en cascade sur la composition des marais. Dans les zones où les Phragmites se sont raréfiés, des espèces plus tolérantes aux inondations, comme Colocasia esculenta, ont commencé à dominer. Cependant, ces plantes n’offrent pas les mêmes bénéfices écologiques que les Phragmites, notamment en termes de stabilisation des sols et de piégeage des sédiments. Ce changement de composition a des implications directes sur la capacité des marais à accumuler de la matière organique et à élever leurs sols pour faire face à la montée du niveau de la mer. Comme l’explique Tracy Elsey-Quirk, « si ces tendances se poursuivent, les marais du Mississippi risquent de ne plus pouvoir remplir leur rôle écologique, ce qui entraînerait leur submersion définitive ». Les données montrent déjà une augmentation alarmante des taux d’inondation : la proportion de temps durant lequel les marais sont inondés est passée de 43 % en 2007 à 75 % en 2022, illustrant ainsi la gravité de la situation et la nécessité d’agir pour restaurer ces écosystèmes.

La ligne brisée noire représente la couverture végétale annuelle totale (moyenne ± erreur standard) sur les sites d’échantillonnages. Les barres empilées représentent les données moyennes de couverture des espèces pour toutes les espèces dominantes et fréquentes. © T. Elsey-Quirk et al., 2024
Quelques pistes sont envisagées par les chercheurs pour faire face à cette dégradation des marais. Une des principales recommandations est de réduire le stress chronique causé par l’élévation du niveau de la mer en augmentant l’apport de sédiments dans les zones touchées. Cet apport pourrait se faire par des techniques de restauration telles que l’amélioration du flux de sédiments via des canaux ou l’utilisation de dépôts de sédiments en couches minces pour élever la surface des marais. En augmentant l’élévation du sol, ces actions permettraient de réduire la fréquence et la durée des inondations, et de renforcer ainsi la résilience des marais aux événements climatiques extrêmes. Par ailleurs, les auteurs soulignent l’importance d’une gestion proactive pour restaurer la végétation, afin de limiter les impacts à long terme et prévenir la submersion définitive.
Source : Tracy Elsey-Quirk et al., “Vegetation dieback in the Mississippi River Delta triggered by acute drought and chronic relative sea-level rise”, Nature Communications (2024).