La désoxygénation de l’océan, une menace pour la vie marine

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PPR océan & climat

Sous l’effet du changement climatique, l’océan perd inexorablement de l’oxygène. Ce phénomène, connu sous le nom de désoxygénation, est devenu aujourd’hui un indicateur clé des transformations en cours dans l’océan. Mais si, pour les scientifiques, la désoxygénation de l’océan représente un marqueur des bouleversements climatiques, sa compréhension par le grand public reste souvent parasitée par des désinformations. Sous l’impulsion du Programme Prioritaire de Recherche (PPR) Océan & Climat, Mathieu Delteil, doctorant au LOCEAN IPSL, s’attelle à explorer les impacts de la désoxygénation de l’océan, et à étudier plus en détail la façon dont les savoirs sur ce phénomène circulent dans la sphère publique.

Par Carole Saout-Grit et Laurie Henry

La désoxygénation des océans, marqueur des bouleversements climatiques

La désoxygénation de l’océan constitue un signal d’alarme majeur pour les écosystèmes marins. Ce phénomène, caractérisé par une baisse constante des niveaux d’oxygène dans les eaux marines, est principalement alimenté par deux processus interdépendants. D’une part, l’élévation des températures en surface réduit la solubilité de l’oxygène. D’autre part, elle intensifie la stratification de l’océan, empêchant les échanges vitaux entre les couches profondes, où l’oxygène est respiré, et celles de surface, riches en oxygène.

Ces bouleversements accentuent particulièrement les zones de minimum d’oxygène (ZMO), des régions où les concentrations d’oxygène sont naturellement si faibles qu’elles ne permettent pas la survie des organismes respirants tels que les poissons. Entre 1970 et 2010, cette perte d’oxygène a atteint jusqu’à 3,3 % pour les 1 000 premiers mètres de profondeur des océans, et le volume de ces ZMO a augmenté jusqu’à 8 % sur cette même période, réduisant significativement l’étendue des zones habitables pour les espèces marines.

Ces transformations sont autant d’indicateurs des dérèglements climatiques en cours et soulèvent des enjeux critiques pour la biodiversité océanique. Pourtant, la compréhension du phénomène par le grand public demeure entravée par des idées fausses, notamment la vision simpliste que les océans seraient des « poumons » producteurs de l’oxygène atmosphérique. Cette image masque l’impact véritable de la désoxygénation des océans : la perte d’habitats marins essentiels.

Une étude scientifique et sociétale des enjeux

C’est dans ce contexte que Mathieu réalise un travail de thèse au Laboratoire d’Océanographie et du Climat : Expérimentations et Approches Numériques (LOCEAN), un laboratoire de l’Institut Pierre-Simon Laplace (IPSL) à Paris. Co-encadré par Marina Lévy, océanographe biogéochimiste et physicienne au LOCEAN IPSL et Sébastien Dutreuil, historien et philosophe des sciences de la Terre au Centre Gilles Gaston Granger (CGGG), ce travail est soutenu par le PPR Océan & Climat sur la période 2023-2026.

La thèse porte l’ambition de recentrer le débat sur les répercussions écologiques et sociales d’un océan de plus en plus inhabitable, en répondant à un double défi : approfondir la connaissance scientifique des mécanismes et des impacts d’une désoxygénation de l’océan, et renforcer la sensibilisation du public et des décideurs face à cette problématique complexe.

© Mathieu Delteil

Pour atteindre ces objectifs, Mathieu adopte une approche transdisciplinaire combinant biogéochimie marine, modélisation climatique et sciences humaines.

Sur le plan scientifique, il s’agit d’identifier le seuil temporel à partir duquel l’expansion des ZMO excédera la variabilité naturelle, devenant ainsi un indicateur clair de l’impact anthropique. Grâce aux simulations du projet CMIP6 (Coupled Model Intercomparison Project Phase 6) et à la dernière version du modèle climatique de l’IPSL (IPSL-CM6A-LR), Mathieu analyse les dynamiques de l’oxygène océanique sur la période 1850-2060. Ce modèle, intégrant la biogéochimie marine via PISCES*, permet de différencier les variations naturelles des influences anthropiques. L’enjeu est de prédire avec précision l’évolution future des ZMO et de déterminer l’année d’émergence, c’est-à-dire le moment où les effets du changement climatique surpasseront les processus naturels. Ces travaux fourniront des informations cruciales pour anticiper la réduction des habitats marins et leur impact sur les écosystèmes.

En parallèle, Mathieu étudie la manière dont la désoxygénation a été perçue, étudiée et discutée dans les sphères scientifiques et publiques. En s’appuyant sur des travaux d’archives et des entretiens, il retracera l’histoire de la sensibilisation à ce phénomène, notamment au travers du rôle clé du réseau international Global Ocean Oxygen Network (GO2NE). Ce groupe d’experts, créé sous l’égide de l’UNESCO, s’efforce de faire progresser les recherches et de diffuser leurs résultats auprès d’un large public.

Les contributions des ONG qui militent pour la préservation de l’océan seront analysées en détail, en particulier pour mieux comprendre leurs stratégies quant à l’intégration de la question de la désoxygénation dans les débats publics sur le climat. L’objectif est de déconstruire les malentendus, comme l’idée erronée d’un océan « poumon de la planète », et de recentrer le discours sur les conséquences écologiques réelles : la perte progressive d’habitats pour les espèces marines respirantes.

À terme, cette recherche ambitieuse devrait contribuer à formuler des recommandations concrètes pour la gestion des océans, tout en renforçant l’intégration de la désoxygénation dans les politiques environnementales. En combinant modélisation numérique, analyse historique et communication scientifique, Mathieu vise non seulement une avancée dans la compréhension de ce phénomène, mais aussi une meilleure prise de conscience collective, essentielle pour protéger un écosystème vital face aux bouleversements climatiques.

* PISCES est un modèle biogéochimique intégré au modèle climatique IPSL, simulant le cycle de l’oxygène dans l’océan, les interactions biologiques et chimiques, et l’impact des changements climatiques sur les écosystèmes marins.

Le modèle climatique de l’IPSL simule les interactions atmosphère-terre-océan-glace de mer, étudiant l’impact climatique sur les écosystèmes.


3 Questions à Mathieu Delteil 

Pourquoi avoir voulu faire une thèse en sciences marines ?

J’ai une formation initiale en enseignement de la physique-chimie, et entreprendre une thèse m’est apparu comme une évidence pour approfondir mes connaissances et compétences scientifiques. Cela me permettra, par la suite, de transmettre, par la suite, des savoirs de haut niveau à mes élèves. Les sciences marines, couplées aux sciences du climat, se sont imposées comme un domaine d’étude répondant à mon souhait de relier l’enseignement et la recherche à des enjeux environnementaux actuels.

Qu’est-ce qui t’a donné envie de postuler à ce sujet de thèse ? Quelles étaient tes motivations ?

Ce qui m’a attiré en premier dans ce sujet de thèse, c’est son caractère transdisciplinaire mêlant sciences marines, sciences du climat et histoire des sciences. Mon intérêt pour l’enseignement et la médiation scientifique a également joué un rôle clé : ce sujet me permet d’explorer toutes les étapes nécessaires à une transmission efficace et réussie des connaissances scientifiques, de leur production à leur diffusion. Ce sujet me semble également important puisqu’il contribue à mieux comprendre les conséquences du changement climatique sur les océans, tout en sensibilisant à l’urgence de les protéger.

Comment imagines-tu ton futur après cette thèse ?

Après ma thèse, je souhaite me consacrer pleinement à l’enseignement, une activité qui me tient particulièrement à cœur. Cette expérience enrichira mes connaissances et mes compétences scientifiques, et je tiens à les partager. Je souhaite sensibiliser les plus jeunes aux changements que subit l’océan, de même qu’aux enjeux cruciaux liés au changement climatique. L’enseignement représente également un moyen de rendre la recherche plus visible, mieux comprise et plus accessible aux nouvelles générations

 


Référence : Mathieu Delteil, « Désoxygénation des océans : Nouvelles infos et vieilles intox », thèse 2023-2026

Contact :  mathieu.delteil@locean.ipsl.fr

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