Le 15 janvier 2022, l’éruption du volcan sous-marin Hunga-Tonga a provoqué des tsunamis d’une nature unique et complexe. Contrairement aux tsunamis habituels, cette catastrophe naturelle a généré deux types distincts de vagues, issues de sources atmosphériques et océaniques. Ce phénomène rare et spectaculaire a touché à la fois les côtes américaines du Pacifique et de l’Atlantique. L’impact de ces vagues, à la fois rapide et étendu, a suscité l’intérêt des scientifiques pour comprendre la dynamique complexe de leur formation.
par Laurie Henry
Photo de couverture : Éruption du volcan Hunga-Tonga vue par satellite © NOAA / CSU/CIRA et JAXA/JMA
Une étude récente, menée par Oleg Zaytsev de l’Institut de Recherche Géophysique (Mexique), Alexander B. Rabinovich de l’Université d’État de Moscou, et Richard E. Thomson de l’Institut des Sciences de la Mer du Canada, et publiée dans le Journal of Geophysical Research: Oceans, analyse en détail ces vagues duales. Leurs recherches permettent de mieux saisir les interactions entre les phénomènes atmosphériques et océaniques dans la génération de tsunamis et soulignent l’ampleur et la diversité des mécanismes de génération de tsunamis.
Les vagues atmosphériques : un voyage à la vitesse du son
Lors de l’éruption du Hunga-Tonga, l’explosion violente a déclenché des ondes de Lamb, des ondes atmosphériques de pression se propageant à la vitesse du son, environ 315 m/s. Ces « tsunamis atmosphériques » se distinguent des tsunamis traditionnels par leur origine : ils ne sont pas générés par un déplacement massif d’eau, mais par la compression rapide de l’air causée par l’éruption volcanique. Ce phénomène rare a permis à ces vagues de traverser les océans et d’encercler la planète plusieurs fois, leur vitesse leur permettant d’atteindre les côtes américaines bien avant les tsunamis océaniques.
En effet, les vagues atmosphériques y ont été enregistrées jusqu’à cinq heures avant l’arrivée des vagues océaniques plus lentes, voyageant à environ 200 m/s. Ces vagues atmosphériques, bien que moins hautes que les vagues océaniques (3 à 4 fois plus petites), ont néanmoins provoqué des variations significatives du niveau de la mer. Par exemple, dans le golfe du Mexique, ces vagues ont été les seules détectées, et leur seconde arrivée a été plus forte que la première, soulignant la complexité de leur propagation à travers la planète. Ce phénomène demeure peu documenté. Mais il met en évidence l’importance des ondes atmosphériques dans la dynamique des tsunamis.
Grâce à la haute résolution temporelle des données satellitaires, il a été possible de suivre précisément, en temps réel, le parcours de ces ondes, en analysant les perturbations de la température atmosphérique et en les corrélant avec des mesures de pression au sol, notamment à Pago Pago, Samoa, une région proche de l’épicentre, qui a fait l’objet d’une étude menée par Horváth et al. (2024).

Les satellites géostationnaires ont détecté des anomalies de température causées par l’éruption du volcan Hunga. Ces données montrent les variations de température (gauche), leur vitesse (centre) et leur accélération (droite) à 05h14 et 05h24 UTC le 15 janvier 2022. Une étoile marque Pago Pago, où des perturbations de pression ont été enregistrées, et des lignes représentent des distances de 200 km autour du volcan pour suivre la propagation des vagues. © Horváth et al., 2024
Ce suivi minutieux a permis de mieux comprendre non seulement la chronologie précise de l’éruption, mais aussi le comportement de ces vagues atmosphériques à grande échelle. Ces nouvelles données ont montré que les vagues atmosphériques n’étaient pas uniformes et présentaient des variations de fréquence et d’intensité selon leur progression autour du globe.
Les vagues océaniques : un tsunami traditionnel amplifié
Le second type de vague, généré directement par l’éruption du Hunga-Tonga, est plus typique des tsunamis traditionnels. Ces vagues, dites « océaniques », sont provoquées par un déplacement soudain et massif de l’eau dû à l’éruption volcanique sous-marine. Elles ont voyagé à une vitesse d’environ 200 m/s, ce qui représente environ deux tiers de la vitesse des vagues atmosphériques générées par les ondes de Lamb. Ces tsunamis océaniques se sont propagés à travers le Pacifique, atteignant des hauteurs bien plus importantes que leurs homologues atmosphériques. À certaines stations côtières, notamment à Port San Luis en Californie, ainsi qu’à Manzanillo et Ensenada au Mexique, ces vagues ont dépassé les 2 mètres. Leur impact s’est fait sentir tout au long des côtes pacifiques des Amériques, provoquant des inondations et des perturbations significatives dans les zones touchées. Ces vagues océaniques n’ont pas seulement impressionné par leur hauteur, mais aussi par leur large répartition géographique.
Ces tsunamis océaniques se distinguent également par une gamme de fréquences particulièrement large, allant de 0,2 à 30 cycles par heure. Plus précisément, 0,2 cycle par heure signifie qu’une vague complète prend environ 5 heures pour se former et passer. Cela correspond à des vagues très longues, avec des oscillations lentes.
30 cycles par heure signifie qu’il y a 30 vagues complètes qui se forment en une heure, soit environ une vague toutes les 2 minutes. Cela correspond à des vagues beaucoup plus courtes, avec des oscillations rapides.

Cartes des côtés américaines montrant les hauteurs maximales des vagues enregistrées (en centimètres) lors du tsunami de 2022 aux Tonga provenant : a) de sources atmosphériques ; et (b) de sources océaniques. La taille d’un cercle est proportionnelle à la hauteur maximale des vagues, et les lignes blanches indiquent les temps de parcours (en heures) à travers l’océan Pacifique à partir de la zone source. © Zaytsev et al., 2024
Cette observation a surpris les scientifiques qui, au départ, avaient sous-estimé l’étendue réelle de la région affectée par ces tsunamis océaniques. En effet, les modèles initiaux de propagation des tsunamis ne prenaient pas en compte l’immensité de la zone touchée par l’éruption, ni la capacité de ces vagues à conserver leur énergie sur une aussi longue distance.
Ce large éventail de fréquences révèle que les tsunamis océaniques engendrés par l’éruption du Hunga-Tonga proviennent d’une source beaucoup plus vaste que l’épicentre immédiat de l’éruption. En d’autres termes, la région « effective » d’où ces vagues ont émergé dépasse largement la zone de l’explosion volcanique elle-même, s’étendant à une zone océanique beaucoup plus importante. Ce phénomène de propagation à longue portée a été observé dans plusieurs régions du Pacifique, où les vagues ont continué à se faire sentir bien après leur première arrivée.
Une analyse des données pour mieux comprendre
L’analyse des données recueillies lors de l’éruption du Hunga-Tonga a permis de clarifier les mécanismes complexes impliqués dans la génération et la propagation des tsunamis. Les marégraphes, qui enregistrent les variations du niveau de la mer, et les microbarographes, qui mesurent les changements de pression atmosphérique, ont fourni des données clés pour isoler les deux types de vagues et en analyser les caractéristiques distinctes.
Oleg Zaytsev et son équipe ont donc étudié en détail les enregistrements des niveaux de la mer le long des côtes américaines, issus de capteurs situés aussi bien sur les côtes qu’en pleine mer. Ces dernières ont permis de suivre leur propagation, montrant que les vagues océaniques avaient un effet prolongé sur le niveau de la mer, avec des oscillations qui pouvaient persister plusieurs jours.
Les conséquences de cette analyse sont multiples pour la gestion des risques côtiers. La capacité des scientifiques à différencier les vagues atmosphériques et océaniques permet d’améliorer les systèmes de détection précoce des tsunamis. Dans ce cas précis, les vagues atmosphériques ont atteint les côtes bien avant les vagues océaniques, ce qui pourrait offrir un délai supplémentaire pour alerter les populations côtières.
Cependant, bien que ces vagues atmosphériques aient été moins destructrices en termes de hauteur, elles n’en sont pas moins dangereuses, car elles peuvent encore causer des perturbations maritimes significatives. Cette distinction entre les deux types de vagues et leurs impacts respectifs permet de mieux anticiper la réponse aux tsunamis, en particulier dans les zones vulnérables, et d’adapter les mesures d’évacuation et de protection en fonction de la nature des vagues attendues.
Source : Zaytsev, O., Rabinovich, A. B., & Thomson, R. E. (2024). “The 2022 Tonga tsunami on the Pacific and Atlantic coasts of the Americas”. Journal of Geophysical Research: Oceans, 129, e2024JC020926