Deux décennies de données collectées en Antarctique, une mine d’or pour affiner les prévisions océaniques

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Vingt années de données océanographiques ont été recueillies par une équipe de chercheurs britanniques au large de l’Antarctique. Elles offrent une perspective inédite de mieux comprendre le rôle de l’océan dans le changement climatique, les interactions océan/glace, le fonctionnement de la vie marine et le processus de séquestration du carbone par l’océan. Un véritable trésor d’informations pour prévoir le futur de notre planète.

Par Laurie Henry

Parce qu’il est le seul océan entourant complètement le continent Antarctique et connectant ainsi les trois océans principaux de notre planète (Atlantique, Pacifique et Indien), l’océan austral est un acteur clé du climat mondial. Mais son éloignement et les conditions météorologiques extrêmes qui y règnent notamment en période hivernale, le rendent compliqué à étudier. Les risques tant humains que matériels sont énormes dans les saisons les plus rudes, quand les températures peuvent parfois descendre en dessous des -50°C et quand les conditions de mer rendent la navigation peu praticable.

Pourtant, des scientifiques britanniques ont relevé ce défi grâce à la Station de Recherche Rothera, située sur le flanc ouest de la péninsule antarctique. Hiver comme été, ils ont en effet réussi à y collecter en continu, une série de données océanographiques pendant vingt ans, de 1997 à 2017. Température en hausse, variations de salinité ou encore diminution de la glace de mer :  les résultats scientifiques obtenus grâce à cette nouvelle mine d’or de données sont publiés dans la revue Nature.

Une station adaptée aux conditions extrêmes

Gérée par le British Antarctic Survey (BAS), la station de recherche Rothera est une structure de recherche située à un endroit stratégique pour l’étude des océans. Elle est située à proximité de la baie de Ryder, une embouchure de la baie de Marguerite qui est un point chaud pour l’étude des interactions entre l’océan et la glace.

Cette station est une installation permanente qui fonctionne toute l’année, entièrement équipée et préparée aussi pour faire face aux conditions difficiles de l’hiver antarctique. Les températures peuvent descendre très bas, les conditions météorologiques peuvent être violentes et imprévisibles, et la glace de mer peut rendre l’accès à certaines zones difficile voire impossible. La nuit polaire, quand le soleil ne se lève pas pendant plusieurs mois, peut aussi rendre les opérations encore plus compliquées. Les scientifiques et le personnel de soutien qui y travaillent sont spécialement formés pour travailler dans ces conditions de l’extrême.

site rothera

Sites d’échantillonnage. (a) emplacement de la baie Ryder dans la baie Marguerite à l’ouest de la péninsule antarctique, WAP ; (b) sites d’échantillonnage dans la baie Ryder utilisés dans la série chronologique de Rothera (sites CTD 1, 2 et 3 indiqués par des cercles verts). SACCF = Southern Antarctic Circumpolar Current Front ; SBACC = Southern Boundary of the Antarctic Circumpolar Current (limite sud du courant circumpolaire antarctique). D’après Veables et al., 2023

20 ans de données uniques au monde

La Station de Recherche Rothera a donc permis de recueillir des données océanographiques en hiver comme au printemps polaires, une couverture unique sans biais saisonnier pour capturer la variabilité tout au long du cycle annuel de paramètres océaniques.

Depuis 1997, la station a recueilli plus de 2000 profils de Conductivité-Température-Profondeur (CTD) donnant des informations sur la salinité (grâce à la conductivité), la température et la profondeur de l’eau à différents niveaux dans l’océan. L’échantillonnage est effectué à partir d’un petit bateau ou d’un traîneau, en fonction de l’état de la glace de mer. Lorsque les conditions le permettent, l’échantillonnage est effectué deux fois par semaine en été et une fois par semaine en hiver, avec un profilage jusqu’à 500 m nominalement et des échantillons d’eau discrets prélevés à 15 m de profondeur. Les conditions de la glace de mer dans la zone font également l’objet d’observations quotidiennes.

Zones polaires et réchauffement climatique, un match joué d’avance ?

Au cours de ces 20 dernières années, les chercheurs ont pu observer grâce à ces mesures des changements conséquents dans les dynamiques physique et biologique de l’océan austral, avec des conséquences sur les courants marins, la vie marine et le climat mondial.

Ils ont d’abord pu constater une hausse de température associée à des variations de salinité, entrainant une modification de la densité de l’eau de mer et de la dynamique associée des courants marins, essentiels pour le transport de la chaleur et des nutriments à travers les océans du monde. Mais un océan qui se réchauffe verra aussi sa capacité à absorber le dioxyde de carbone diminuer, ce qui pourra potentiellement conduire à une augmentation des concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère et de fait, à une amplification du réchauffement climatique.

Ces changements de température et de salinité ont également un impact important sur la vie marine. De nombreux organismes marins sont sensibles aux conditions physico-chimiques de l’eau de mer, et une perturbation peut affecter leur reproduction et leur distribution. Ce qui pourrait avoir des conséquences directes sur l’industrie de la pêche et sur l’équilibre des écosystèmes marins dans cette région.

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Variation de la température et de la salinité sur la période de 20 ans. © H. Venables et al., 2023

Enfin, les scientifiques ont pu observer une quantité de glace de mer évoluant avec le temps, avec une tendance à diminuer pendant les années plus chaudes. Cette diminution de la glace de mer pourra aussi avoir des conséquences importantes à la fois sur la vie biologique marine, mais aussi sur la disparition potentielle du permafrost, la glace ne jouant plus son rôle dans l’albédo.

Faite de défis et de découvertes, l’histoire de la Station de Recherche Rothera illustre la nécessité de recueillir, en continu et sur le long-terme, des observations en mer y compris dans des régions parfois difficiles d’accès. Ces mesures collectées dans le temps sont précieuses pour suivre la dynamique et l’état de santé des océans, et contribuer à mieux prévoir et anticiper les changements.

Source : Venables, H., Meredith, M.P., Hendry, K.R. et al. Sustained year-round oceanographic measurements from Rothera Research Station, Antarctica, 1997–2017. Sci Data 10, 265 (2023). https://doi.org/10.1038/s41597-023-02172-5

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