+1.5°C et un niveau d’alerte mondiale pour les océans

22/01/2025

9 minutes

océans et climat

L’année 2024 s’inscrira comme un jalon dans l’histoire climatique de notre planète. Pour la première fois, la température globale moyenne de la Terre a dépassé le seuil critique de 1.5 °C par rapport aux niveaux préindustriels. L’océan, pilier du système climatique, a déjà absorbé plus de 90 % de cette chaleur excédentaire générée par nos activités humaines. Il est aujourd’hui en état de surchauffe, avec des températures records enregistrées en 2024 tant en surface que dans ses plus grandes profondeurs.

Par Laurie Henry

Photo de couverture : L’océan Austral connaît l’une des vitesses de réchauffement les plus rapides. © Chao Ban

Une récente étude dirigée par le professeur Lijing Cheng de l’Institut de Physique Atmosphérique (Académie des sciences de Chine) en collaboration avec 54 scientifiques internationaux, révèle dans la revue Advances in Atmospheric Sciences, que les océans ont absorbé des quantités record de chaleur, dépassant les seuils observés depuis le début des mesures modernes en 1950.

Les conséquences se manifestent déjà par une intensification des événements météorologiques extrêmes, une dégradation accélérée des écosystèmes marins et des bouleversements climatiques globaux. À l’heure où la température mondiale a dépassé  de +1.5 °C celles de l’ère préindustrielle, ces nouvelles données soulignent l’urgence de repenser notre rapport aux énergies fossiles et à l’environnement. Les résultats de cette étude seront utilisés pour mettre à jour les indicateurs de surveillance des océans.

Des océans de plus en plus chauds en surface et en profondeur

Entre 2023 et 2024, la quantité de chaleur accumulée dans les 2 000 premiers mètres des océans a augmenté de 16 zettajoules, une valeur sans précédent. Cette énergie, équivalente à 140 fois la production mondiale d’électricité de 2023, illustre la capacité des océans à stocker la majorité de la chaleur excédentaire due au réchauffement climatique. En parallèle, la température moyenne de surface des océans a connu une hausse de 0,07 °C par rapport à l’année précédente.

Ces chiffres confirment une accélération alarmante observée depuis plusieurs décennies, attribuée à l’augmentation constante des émissions de gaz à effet de serre. Selon les scientifiques, ces donnéestraduisent des changements climatiques systémiques ayant des implications globales. « Pour savoir ce qui arrive au climat, la réponse est dans l’océan », a déclaré le professeur John Abraham de l’Université de St. Thomas, co-auteur de l’étude.

 

Évolution temporelle de l’anomalie de température moyenne mesurée à la surface de l’océan depuis 1950 © Cheng et al., 2025

Cette hausse de la température océanique a effectivement des conséquences directes sur les cycles climatiques et les écosystèmes. L’intensité croissante des échanges thermiques entre l’océan et l’atmosphère amplifie les épisodes extrêmes tels que les cyclones, les inondations et les sécheresses prolongées. La chaleur stockée par les océans favorise également la formation de vagues de chaleur marine, perturbant les écosystèmes marins sensibles. Ces perturbations touchent la biodiversité marine à grande échelle, avec des migrations forcées d’espèces et une diminution de la résilience des écosystèmes.


Lire « L’océan, orchestre du climat », publication océans connectés 2024


Des disparités régionales

Mais le réchauffement des océans ne se manifeste pas uniformément à l’échelle mondiale, avec des variations régionales significatives qui amplifient les défis climatiques locaux. L’Atlantique Nord a enregistré des températures de surface supérieures à 20,87 °C en moyenne, marquant une hausse notable par rapport à la référence de 1991-2020, tout comme la Méditerranée. De même, l’océan Indien a connu des augmentations de chaleur atteignant des records, notamment dans ses zones méridionales où les températures ont largement dépassé les moyennes saisonnières. Dans le Pacifique Nord, les régions côtières du Japon et des États-Unis ont vu des écarts thermiques particulièrement marqués, en grande partie à cause des vagues de chaleur marine persistantes.

Répartition géographique de l’anomalie du contenu de chaleur stockée par les océans entre la surface et 2000 mètres de profondeur, mettant en évidence de fortes variations régionales © Cheng et al., 2025

En revanche, les régions tropicales de l’océan Pacifique ont montré une augmentation plus limitée en raison de l’influence du cycle La Niña en début d’année, suivi de l’apparition d’un événement El Niño plus tard en 2024. Dans l’océan Austral, la température moyenne a également augmenté, impactant la dynamique des courants circumpolaires et accélérant la fonte des glaces. Ces écarts régionaux traduisent non seulement des effets des oscillations climatiques naturelles, mais également de l’influence croissante des activités humaines sur la variabilité climatique océanique.

Des conséquences environnementales et humaines

La montée des températures océaniques agit donc comme un catalyseur de bouleversements environnementaux majeurs, affectant en premier lieu des écosystèmes marins déjà fragilisés. Les récifs coralliens par exemple, indispensables à la biodiversité et aux communautés côtières, subissent des blanchissements à grande échelle, notamment sur la Grande Barrière de Corail en Australie, conséquences directes de vagues de chaleur marine qui réduisent la capacité des coraux à se régénérer et compromettent des habitats critiques pour une multitude d’espèces marines.

Les températures élevées favorisent également l’apparition de zones mortes, dépourvues d’oxygène, qui menacent directement les populations de poissons et affectent les moyens de subsistance des millions de personnes dépendantes de la pêche. Les impacts ne se limitent pas aux océans, puisque les écosystèmes côtiers souffrent également d’une érosion accrue et d’une intrusion saline aggravée par la montée des eaux qui exacerbent les vulnérabilités des communautés humaines.

Évolution temporelle du contenu en chaleur des océans dans les 2 000 mètres supérieurs, depuis 1950 (de l’Institut de physique atmosphérique). Les couleurs bleue et rouge indiquent si une année particulière a été plus froide ou plus chaude (respectivement) que la période de référence 1981-2010. Cette période sert de base aux scientifiques pour comparer les conditions par rapport aux conditions de référence © Cheng et al., 2025

Ces perturbations environnementales ont des répercussions directes sur les événements climatiques extrêmes. Une chaleur océanique accrue libère davantage de vapeur d’eau dans l’atmosphère, augmentant les précipitations et alimentant des tempêtes plus intenses. En 2024, cette dynamique a amplifié des catastrophes climatiques à travers le monde : feux de forêt historiques à Los Angeles, inondations dévastatrices au Nigeria et vagues de chaleur prolongées en Europe. Le chercheur Kevin Trenberth explique : « cette intensification des cycles hydrologiques entraîne des sécheresses prolongées dans certaines régions et des inondations extrêmes dans d’autres, soulignant un déséquilibre croissant. Ces catastrophes ont coûté des milliards de dollars en pertes économiques et humaines, et ne cessent de mettre en lumière l’interconnexion entre les systèmes naturels et humains ».

Le dépassement du seuil de 1.5 °C, une alerte mondiale

En 2024, la planète a franchi pour la première fois ce seuil symbolique des 1.5 °C au-dessus des niveaux préindustriels.Une limite fixée il y a 10 ans par l’Accord de Paris,  à ne pas dépasser pour éviter les impacts climatiques les plus catastrophiques. Même si ce seuil n’a pas été atteint sur les 365 jours de l’année en 2024, ce niveau confirme malgré tout l’accélération du réchauffement global. Cette anomalie de +1.5°C, en partie attribuée à des événements naturels tels que l’El Niño, souligne surtout l’effet cumulatif des émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine.

Comme l’explique Carlo Buontempo, directeur de Copernicus : « cette situation ne représente pas un point de non-retour, mais plutôt une alerte urgente à prendre des mesures décisives pour inverser la trajectoire. Chaque fraction de degré supplémentaire accroît les risques de perturbations majeures, des événements météorologiques extrêmes à la perte irréversible d’écosystèmes critiques ».

Variations mensuelles de la température de l’air à la surface du globe (°C) par rapport à la moyenne de la période de référence préindustrielle (1850-1900) de 1940 à 2024 (une couleur par décennie) © Copernicus C3S / ECMWF

Parallèlement, les concentrations atmosphériques de dioxyde de carbone (CO₂) ont atteint un record de 422 ppm en 2024, un niveau supérieur de plus de 50 % à celui de l’ère préindustrielle (280 ppm). Cette accumulation constante de CO₂, accompagnée d’une hausse des niveaux d’autres gaz à effet de serre (comme le méthane), renforce le phénomène de réchauffement global en piégeant davantage de chaleur dans l’atmosphère et crée un cercle vicieux comme dans les zones polaires où les températures élevées accélèrent le dégel du pergélisol en libérant du méthane, un puissant gaz à effet de serre qui aggrave en retour le réchauffement. Cette nouvelle étude confirme donc l’urgence d’une transition énergétique mondiale pour réduire les émissions et prévenir de changements climatiques et environnementaux encore plus profonds et irréversibles.


Source : L. Cheng et al., “Sea Surface Temperatures and Deeper Water Temperatures Reached a New Record High in 2024”, Advances in Atmospheric Sciences (2025)

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