L’intelligence artificielle pour mieux comprendre la circulation océanique

La découverte est révolutionnaire : des chercheurs ont utilisé une forme avancée d’intelligence artificielle (IA) associée à l’océanographie physique pour suggérer l’existence d’un « supergyre » ou « super courant océanique » dans l’océan Austral. Cette découverte pourrait avoir des implications majeures sur une meilleure connaissance de cet océan Austral lointain et jusqu’ici peu mesuré, et qui joue pourtant un rôle majeur dans le système climatique de notre planète.

L’océan Austral, un point de connexion majeur pour le climat

L’océan agit comme un gigantesque thermostat pour la Terre. Il assure le transport, le stockage et la redistribution de l’énergie terrestre de l’équateur jusqu’aux pôles grâce à la dynamique de ses courants marins. A grande ou à petite échelles, la circulation océanique joue un rôle crucial dans ce processus, en particulier dans l’océan Austral.

L’océan Austral est en effet le seul océan qui connecte les trois bassins océaniques principaux que sont l’Atlantique, le Pacifique et l’Indien. Il est animé du courant circumpolaire antarctique, le courant océanique le plus puissant du monde qui entoure le continent antarctique dans toute son intégralité. Le courant circumpolaire antarctique a un impact significatif sur la biodiversité marine puisqu’il agit comme une barrière naturelle qui isole la faune antarctique et contribue à la diversité unique des espèces dans cette région.

Une histoire de gyres qui tournent en rond

Traditionnellement, les scientifiques considèrent qu’au-delà de ce grand courant circumpolaire antarctique, l’océan Austral est animé par deux gyres principaux : le gyre de Weddell et le gyre de Ross, du nom de ces deux mers de la région. Ces deux structures circulaires de grande taille dominent la circulation océanique dans l’océan Austral, mais leurs dynamiques sont complexes et il reste beaucoup à découvrir de leur fonctionnement et de leur variabilité dans le temps comme dans l’espace.

Pour comprendre ce qu’est un gyre, imaginez-vous un système de courants marins qui tournent en rond dans l’océan. Dans l’hémisphère nord, ces gyres tournent dans le sens des aiguilles d’une montre tandis que dans l’hémisphère sud, ils tournent dans le sens inverse. Mis en action par les vents en surface, ces gyres sont importants car ils contribuent non seulement à répartir la chaleur entre l’équateur et les pôles, mais ils participent aussi à la dynamique de remontée des eaux océaniques profondes et froides à la surface.

En Atlantique Nord comme dans le Pacifique ou dans l’océan Indien, les gyres sont clairement et naturellement définis par les frontières continentales occidentales ou orientales des bassins. Au contraire, les gyres de l’océan Austral n’ont pas de frontières aussi clairement définies, puisque cet océan a une forme d’anneau qui n’est pas limité par les terres. Les gyres de Weddell et de Ross participent donc d’une circulation océanique globale complexe dans cette région, sans doute plus difficile à comprendre qu’ailleurs.

Un super gyre au rôle essentiel dans le climat et la biodiversité

Récemment, une équipe de scientifiques a donc utilisé l’intelligence artificielle pour proposer une nouvelle perspective de la circulation océanique dans cet océan : l’existence non pas de deux mais d’un seul « supergyre » quasi-circumpolaire, dont le rôle sur le climat serait sous-évalué.

C’est en s’appuyant sur les nouveaux outils de l’intelligence artificielle (IA), et en utilisant un algorithme d’apprentissage automatique appelé THOR, que des chercheurs ont identifier les facteurs qui régissent la circulation océanique dans l’océan Austral. Ils proposent l’existence d’un seul super-gyre dans l’océan Austral, une structure quasi-circumpolaire qui englobe et relie les sous-gyres de Ross et de Weddell en un seul super courant tout autour du continent antarctique.

 

Les flèches grises indiquent les gyres traditionnels individuels. Les flèches jaunes indiquent la zone couverte par le supergyre. La flèche violette est l’emplacement approximatif du courant circumpolaire. Les lignes pointillées rouges indiquent approximativement les zones où les observations ont été recueillies qui soutiennent le cadre du supergyre. © M. Sonnewald et al., 2023

L’IA a permis aux chercheurs de comprendre que les caractéristiques du fond marin jouent un rôle clé dans la formation de ce supergyre. La topographie agit comme une frontière efficace le long du courant circumpolaire antarctique et stimulerait la remontée d’eau face aux obstacles du fond marin. En d’autres termes, l’eau froide et dense du fond de l’océan est poussée vers la surface lorsque le courant circumpolaire antarctique rencontre un obstacle, comme une montagne sous-marine. Une fois à la surface, cette eau froide et riche en nutriments peut soutenir la vie marine et participer à la régulation du climat en absorbant le dioxyde de carbone de l’atmosphère.

Qu’apporte réellement l’IA à l’océanographie ?

Ces résultats sont un exemple concret de la manière dont l’IA et les nouvelles technologies peuvent être utilisées pour améliorer notre compréhension de l’océan. En utilisant des techniques d’apprentissage automatique, les scientifiques peuvent analyser de grandes quantités de données et identifier des modèles qui seraient autrement difficiles à détecter.

Dans le cas de cette étude, l’IA ouvre une nouvelle perspective sur la circulation océanique dans l’océan Austral, qui pourrait avoir des implications significatives sur notre compréhension de son rôle dans le système climatique. L’IA pourrait devenir un nouvel outil qui aiderait les scientifiques à identifier les zones clés à surveiller, à déterminer où et comment recueillir des données plus précisément, ou encore à améliorer les modèles climatiques en fournissant une représentation plus précise des détails de la circulation océanique dans l’océan Austral.

Source : Sonnewald, M., Reeve, K.A. & Lguensat, R. A Southern Ocean supergyre as a unifying dynamical framework identified by physics-informed machine learning. Commun Earth Environ 4, 153 (2023). https://doi.org/10.1038/s43247-023-00793-7