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Les requins, une aide précieuse pour préserver nos grands herbiers marins face au changement climatique

Les requins tigres (Galeocerdo cuvier), les plus grands prédateurs marins des mers tropicales, sont protégés aux Bahamas depuis plus d’une décennie. Récemment, l’étude de leur activité a conduit les scientifiques à découvrir le plus grand écosystème d’herbiers marins au monde ! Une nouvelle enthousiasmante quant à nos efforts pour contrer les effets des émissions de gaz à effets de serre. S’ils sont protégés, ces herbiers marins peuvent jouer un rôle crucial dans le ralentissement de l’urgence climatique.

par Laurie Henry

L’importance des herbiers marins pour notre planète

Les écosystèmes des herbiers marins jouent un rôle de plus en plus reconnu dans le soutien de la productivité biologique, la séquestration du carbone, la biodiversité des océans et les ressources halieutiques.

Les herbiers marins piègent et stockent en permanence des quantités massives de carbone dans leurs sédiments, contribuant à hauteur de 17% environ du carbone organique total enfoui chaque année dans les sédiments marins.

Les pertes rapides d’herbiers marins au cours des décennies précédentes ont réduit de fait la capacité de séquestration de ces écosystèmes, tout en libérant de grandes quantités de carbone dans l’atmosphère.

Par conséquent, la conservation des écosystèmes d’herbiers marins est d’une importance mondiale critique pour diminuer l’impact les émissions de gaz à effet de serre, tout en sauvegardant les nombreuses espèces menacées et les ressources halieutiques soutenues par ces milieux marins particuliers.

Une caractérisation essentielle pour une meilleure protection

La conservation des écosystèmes d’herbiers nécessite, au minimum, une connaissance fiable de leur distribution et de leur étendue. Pourtant, ils restent mal cartographiés dans de nombreuses régions.

C’est pour pallier ce manque de données qu’une équipe internationale de chercheurs à utiliser les données d’animaux protégés, côtoyant ces écosystèmes afin de déterminer avec plus de précision les superficies des herbiers marins, et notamment celui des Bahamas.

En 2019, le Dr Austin Gallagher, auteur principal de l’étude Gallagher et al., 2022* et directeur de BTW (Beneath The Waves, un institut de recherche d’une ONG), a commencé à équiper les requins de caméra, et les vidéos enregistrées ont fourni la preuve que ces animaux traversaient des herbiers denses sur de vastes zones.

Lorsque le professeur Carlos Duarte, co-auteur de l’étude de 2022 (Université des sciences et technologies du roi Abdallah) et un des leaders mondiaux de l’écologie des herbiers marins, a vu les données que les requins tigres avaient produites, il a voulu approfondir cette technique d’étude.

Il explique dans un communiqué : « L’écosystème marin des Bahamas, que j’ai pu admirer il y a deux décennies depuis un avion commercial, contient les plus grands bancs de sable du monde, qui sont des habitats peu profonds parfaitement adaptés à la croissance des herbiers. Nous pensions que les Bahamas avaient probablement un vaste écosystème d’herbiers marins, mais la véritable estimation spatiale n’avait jamais été correctement quantifiée, car l’étude de cette vaste zone reste difficile ».

Effectivement, les herbiers marins ne peuvent pas être facilement cartographiés depuis l’espace, car ils produisent des signaux similaires à ceux des algues et sont souvent recouverts de dépôts de carbonate, qui renvoient un éblouissement ou une rétrodiffusion, similaire à celui du sable nu.

Un partenariat inédit entre les requins et les hommes

Afin de cartographier la superficie totale couverte par les herbiers marins aux Bahamas, l’équipe a effectué sa propre analyse de télédétection, tout en intégrant les estimations d’imagerie satellitaire précédentes, pour générer une estimation complète et précise de l’écosystème des herbiers marins des Bahamas. Ces enregistrements ont été associés à une vaste vérification au sol, impliquant plus de 2 400 relevés d’herbiers par des plongeurs dans toute la zone.

A, B : Prairie dense photographiée dans le sud du Great Bahama Bank montrant un escarpement d’érosion naturelle exposant le système racinaire de l’herbier d’environ 1 mètre d’épaisseur © Cristina Mittermeier). C : Requin tigre adulte nageant au-dessus de l’herbier marin. © Austin Gallagher. D : Point de vue d’un requin tigre via la caméra dont il est équipé. © Tiger Shark.

Carlos Duarte explique que les recherches menées par Beneath The Waves ont montré que les requins tigres passent environ 72% de leur temps à patrouiller dans les herbiers, ce qui peut être observé par les caméras à 360° les équipant. Cette technique a fourni une opportunité d’étendre la vérification au sol des bancs des Bahamas, car les requins tigres parcourent environ 70 km en une journée et ne sont pas limités, comme le sont les plongeurs humains.

Cette validation supplémentaire a permis d’augmenter les estimations de la superficie de l’habitat des herbiers marins sur les bancs des Bahamas de 66 000 km² à 92 000 km², et une augmentation des zones à protéger.

 

Cette étude met en avant un modèle de collaboration inédit avec de grands animaux marins pour explorer l’océan. L’équipe de recherche a également collecté des carottes de sédiments de cet écosystème pour évaluer la quantité de carbone stockée dans les sédiments. Elle a alors révélé que les Bahamas détiennent probablement jusqu’à 25% du stock mondial de carbone bleu**.

Selon l’UNESCO, les écosystèmes de carbone bleu comprennent les herbiers marins, les marais salés et les mangroves. Ils sont parmi les puits de carbone les plus puissants de la biosphère et jouent un rôle essentiel dans l’atténuation du changement climatique.

Gallagher conclut : « Cette découverte devrait nous donner de l’espoir pour l’avenir de nos océans. Cela montre également à quel point tout est lié. Parce que les requins tigres étaient protégés aux Bahamas depuis de nombreuses années, nous avons pu étudier et surveiller les processus anciens dans lesquels ces animaux étaient engagés depuis des millénaires ». Préserver nos océans, protéger nos forêts et toute la biodiversité sont différents aspects d’un même objectif : une planète durable et vivable pour tous.

 

*Source : Gallagher, A.J., Brownscombe, J.W., Alsudairy, N.A. et al. Tiger sharks support the characterization of the world’s largest seagrass ecosystem. Nat Commun 13, 6328 (2022). https://doi.org/10.1038/s41467-022-33926-1

** Carbone bleu : carbone capturé par les plantes des écosystèmes océaniques côtiers.