Prévoir et cartographier les dangers liés à la hausse du niveau de la mer pour les régions côtières

Par Laurie Henry

Le réchauffement climatique a élevé le niveau de la mer d’environ 23 cm depuis 1880 et de 7,5 cm ces 25 dernières années. Le taux d’élévation s’accélère. La montée des mers augmente considérablement les risques d’inondations dommageables dues aux ondes de tempête, notamment dans les régions les plus exposées comme le delta du Bengale. Il est donc primordial d’actualiser la prévision des risques.

Les niveaux extrêmes de la mer (lors de tempêtes) ont augmenté dans la plupart des régions côtières mondiales. Les augmentations observées et prévues peuvent s’expliquer principalement par des augmentations locales du niveau moyen de la mer. En effet, chaque année, le niveau des océans et des mers monte de 3,2mm. D’après les dernières recherches publiées, le niveau des océans s’élève de plus en plus vite et devrait gagner 30 cm d’ici à 2050.

De plus, ces niveaux extrêmes de la mer peuvent être encore augmentés par les ondes de tempête et les changements de marée. Une onde de tempête est une augmentation à grande échelle du niveau de la mer due à une tempête. La basse pression atmosphérique permet au niveau de la mer de monter et les vents violents combinés à la rotation de la Terre forcent l’eau vers le littoral.

L’étude publiée (MJU. Khan et al., 2022) dans le revue Natural Hazards and Earth System Sciences, et portée par les chercheurs du LEGOS (Laboratoire d’Etudes en Géophysique et Océanographie Spatiales), du MIT (Institut de technologie du Massachusetts) et du LIENSs (LIttoral ENvironnement et Sociétés), adopte une approche originale de modélisation afin de dresser une cartographie fine du risque submersif, à l’échelle de tout le delta du Bengale.

Pourquoi le delta du Bengale est-il en danger ?

Parmi les côtes mondiales exposées aux ondes de tempête, les pays situés le long de l’océan Indien comptent certains des endroits les plus gravement touchés par les cyclones, en particulier le nord de la baie du Bengale. Bien qu’un infime pourcentage (environ 6%) des cyclones se forment et touchent terre autour de cette région, le nombre total de morts représente plus de 50% du total mondial.

Cette zone est soumise de façon chronique à des cyclones tropicaux violents qui provoquent des submersions marines massives. D’un côté, si l’on ajoute que ce territoire est très densément peuplé et à très faible altitude, on prend la mesure des risques encourus par 3 millions d’habitants.

D’un autre côté, dans les zones urbaines le long des côtes, la hausse du niveau marin menace les infrastructures nécessaires aux emplois locaux et aux industries régionales. Les routes, les ponts, les métros, l’approvisionnement en eau, les puits de pétrole et de gaz, les centrales électriques, les usines de traitement des eaux usées, les décharges, etc. sont tous menacés.

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Vue aérienne du polder de Gabura Union, situé dans le centre du delta du Bengale, sensible aux inondations. © Jamal Uddin Khan, LEGOS

Rappelons qu’une petite élévation du niveau de la mer – même de quelques centimètres seulement – peut entraîner des dommages importants lors d’une onde de tempête, comme lors de l’ouragan Katrina en aout 2005 ou de la « super tempête » Sandy en octobre 2012. En effet, l’eau rentre plus loin qu’auparavant à l’intérieur des terres. Un niveau de la mer plus élevé signifie également des inondations à marée haute plus fréquentes, certes généralement peu dangereuses, mais extrêmement coûteuses pour les populations et le gouvernement.

Modéliser les ondes de tempêtes pour protéger les vies humaines

Néanmoins, en raison de la disponibilité limitée des relevés de niveau d’eau, une estimation cohérente du risque d’onde de tempête à partir d’observations in situ n’a pas encore été réalisée pour le delta du Bengale. C’est ici qu’intervient la nouvelle étude.

Les auteurs ont croisé les bathymétries (profondeurs) régionales avec une base de données sur les ondes de tempête issue d’un vaste ensemble de 3600 événements de tempête et d’un système de modélisation des ondes de tempête à haute résolution. Ils ont obtenu des estimations robustes sur le risque d’onde de tempête et d’inondation associée que ce soit en termes d’intensité, de zone d’impact, ou de co-occurrence avec des niveaux de marée variés.

Les résultats suggèrent qu’au moins 10% de la population côtière est actuellement exposée aux inondations causées par les ondes de tempête de cyclone cinquantennal (une fois en 50 ans).

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Risques d’inondations d’ici à 500 ans dans le delta du Bengale. © MJU. Khan et al., 2022

En temps normal, la marée peut atteindre 3 mètres d’amplitude mais le niveau d’eau maximal engendré par ces cyclones est double. Et pour un évènement centennal (une fois par siècle), il faut ajouter encore un mètre.

Comment se protéger ?

Les cartes des niveaux d’eau extrêmes élaborées dans cette étude devraient servir de base pour définir les zones à risque et favoriser une allocation efficace des ressources pour la préparation pré cyclonique.

Dans l’hypothèse où le réseau de digues côtières ne se romprait pas face aux assauts de l’océan, celui-ci a une hauteur adéquate pour protéger d’une submersion cinquantennale. Mais sa hauteur se montre largement insuffisante pour un évènement centennal, mettant en danger environ un million d’habitants.

Néanmoins, la prise en compte de l’effet des précipitations pendant la tempête sur les inondations intérieures n’est pas encore établie dans cette région. Ils devraient dépendre fortement de la topographie, des remblais, du réseau routier dense et des ouvrages hydrauliques en place. De toute évidence, la poursuite des recherches futures est nécessaire sous la menace du changement climatique avec une élévation inévitable du niveau de la mer, un affaissement des terres et des changements morphologiques, et une augmentation potentielle de la fréquence des cyclones dévastateurs.

Source : Khan, M. J. U., et al. Storm surge hazard over Bengal delta: a probabilistic–deterministic modelling approach, Nat. Hazards Earth Syst. Sci., 22, 2359–2379, 2022 https://doi.org/10.5194/nhess-22-2359-2022