RBR, 50 ans d’expertise en instrumentation océanographique au service de la science

Cela va sans dire, la collecte de données est primordiale en océanographie. Mais l’océan est un milieu exigeant, salé, avec une pression croissante à mesure que l’on s’y enfonce, mettant à l’épreuve les différents composants des instruments de mesure. De plus, collecter des données devient intéressant s’il est possible de le faire avec de hautes résolutions et sur une longue période. Pour répondre à ces défis, des entreprises d’électronique se sont positionnées depuis les années 1970 sur le développement et la fourniture d’instrumentation océanographique permettant aux scientifiques d’acquérir des données sur l’ensemble de la planète bleue. Aujourd’hui, ce marché est globalement dominé par quelques entreprises, dont RBR, Richard Brancker Research, qui souffle cette année ses cinquante bougies. Nous avons rencontré à cette occasion Didier Clec’h, directeur de RBR France.

Pouvez-vous nous rappeler les débuts de RBR il y a cinquante ans et à quoi ressemble la société aujourd’hui ?

Didier Clec’h : Au début, en 1973, RBR tenait dans le sous-sol de la maison de Richard Brancker, dans un quartier résidentiel d’Ottawa. Il travaillait à intégrer et développer des capteurs destinés à mesurer vraiment de tout ; l’océanographie n’était alors qu’un domaine parmi d’autres. La société a commencé à se spécialiser dans l’océanographie à la fin des années 1990, quand Frank Johnson, arrivé à RBR dans les années 1980, a racheté l’entreprise à Richard Brancker, qui souhaitait prendre sa retraite. En 2012, Frank passe la main à son fils Greg qui va apporter à son tour des innovations importantes dans la gamme des produits RBR. Progressivement, à mesure qu’elle grossissait, l’entreprise s’est installée dans la mission mitoyenne avant de déménager à Kanata, le quartier d’affaires d’Ottawa, et, à l’issue dans plusieurs pays, à Halifax et Seattle aux États-Unis, à Qingdao en Chine, Brisbane en Australie, et en France. Ces bureaux internationaux permettent de développer les projets avec les différents clients, se rapprocher des marchés, des instituts scientifiques qui sont nos clients privilégiés, et répondre à leurs besoins le mieux possible. Ce que nous faisons ici à Quimper.

Richard Brancker, ingénieur, a créé en 1973 RBR pour répondre à des commandes d’électronique de la part d’institutions publiques. Il prendra sa retraite en 1999. © RBR archives

Que produisez-vous aujourd’hui ?  

D.C. : Nous concevons et construisons différents capteurs, instruments de mesure et systèmes, capables d’être déployés des abysses océaniques aux pôles, en passant par les milieux côtiers. Ils permettent d’acquérir les paramètres physiques de l’eau nécessaires à l’étude courante de l’océan : température, profondeur, salinité, teneur en gaz dissous, intensité lumineuse, chlorophylle… Tous nos instruments sont conçus par notre équipe de R&D composée d’environ 25 personnes et produits au sein de l’entreprise. Il faut deux à trois ans pour développer un nouveau capteur. Cela comprend la conception mécanique, l’architecture électronique et informatique et bien évidemment tout une procédure de calibrage, permettant de garantir l’exactitude des données.

déploiements d’instruments RBR aux pôles © RBR

Nos instruments peuvent être déployés à partir de bateaux, sur des stations de fond ou des lignes de mouillage, sur l’ensemble de la colonne d’eau, et intégrés dans des profileurs de CTD (Conductivité, température, profondeur) – structures permettant de faire des mesures en continu depuis le bateau. Nous développons également depuis peu nos propres systèmes d’acquisitions de données, par exemple un treuil permettant de faire des profils de type yo-yo avec une CTD sur un navire en transit, ainsi que des logiciels pour configurer l’ensemble de notre gamme de produits et traiter les données.

Immersion du RBR brevio, doté d’un capteur compact de CTD © RBR

Quels sont les enjeux actuels pour l’instrumentation océanographique ?

D.C. : L’important, c’est de garantir la mesure, de proposer un support robuste, performant, et de rendre utilisables les données collectées, mises en forme dans un logiciel. Aujourd’hui, les scientifiques nous demandent d’acquérir de la donnée toujours plus profonde dans la colonne d’eau avec tous types de capteurs, l’enjeu ici, c’est la résistance des matériaux constituant la mécanique des capteurs : pour les grandes profondeurs, c’est le titane qui s’impose. Nous avons ainsi récemment lancé un capteur optique de chlorophylle et turbidité, capable d’être immergé à 6 000 mètres.

Dotés d’un capteur de pression, les instruments RBRquartz, installés sur le fond des océans, sont destinés à l’observation et la mesure des changements dans le niveau de la mer, marées, tsunamis. Ici, ils sont immergés à 1750 mètres de profondeur dans l’Atlantique Nord © RBR

L’autre enjeu, c’est d’augmenter la durée de déploiement pour optimiser les coûts de mission à la mer, donc de proposer des instruments basse consommation. Nous avons fait des choix technologiques qui nous permettent d’utiliser des piles de format AA (lithium, alcaline, rechargeable), aujourd’hui simples d’utilisation et assez peu chères, tout en étant facilement accessibles. Nos instruments sont déployés un peu partout dans le monde, il faut donner la possibilité aux différents utilisateurs d’être autonomes dans la maintenance des instruments. Nous avons également développé des systèmes de gestion de l’énergie pour les instruments intégrant plusieurs capteurs afin d’optimiser les consommations. Enfin, nous avons aussi des collaborations avec des laboratoires de l’université de Brest et le FabLab pour développer des systèmes embarqués très low-cost et basse consommation, très compacts, et destinés principalement aux bateaux à voiles, comme Blue Observer.

 

La société RBR a reçu la validation du programme Argo pour l’utilisation de ses capteurs CTD (Conductivité, température et profondeur) sur les flotteurs Argo et DeepArgo. Certains ont été mis à l’eau depuis l’Iris, de la société Blue Observer qui propose des solutions de science à la voile © RBR

Cette question de la durée ne se pose pas qu’en termes de consommation de l’énergie, mais aussi en terme de résistance des matériaux face à l’environnement, en particulier dans les milieux côtiers où l’impact des bio-salissures est important car les capteurs se couvrent souvent d’algues, ce qui limite la performance de leurs mesures. L’idéal est de pouvoir faire des mesures en un point fixe sur de longues périodes, sans avoir à sortir l’instrument pour de la maintenance tous les mois, mais sans non plus utiliser de produits néfastes. Nous avons développé un capteur de CTD avec un système actif d’antifouling qui utilise les UV, limitant le développement des bio-salissures.

 

Outre le développement et la production de capteurs, RBR participe-t-il à des programmes internationaux ?

D.C. : Nous travaillons depuis 2012 au développement d’un nouveau capteur CTD pour répondre au besoin du programme Argo (programme mondial de collecte de données physiques et biogéochimiques par le déploiement de flotteurs). Jusqu’à présent, le programme se reposait essentiellement sur un seul fournisseur, bien évidemment concurrent, notamment pour des soucis de gestion et de cohérence des données. Mais les scientifiques ont admis que cela pouvait être une faiblesse de n’être dépendants que d’un seul fabricant, le marché s’est donc un peu ouvert. Nous avons mené depuis une dizaine d’années des tests pour recevoir la validation pour les données acquises par nos capteurs CTD destinés aux flotteurs Argo jusqu’à 2 000 mètres et aux flotteurs plus profonds (les Deep Argo) qui plongent jusqu’à 6 000 mètres de profondeur. Nos capteurs sont maintenant validés pour ce programme. Malgré cette validation, Argo reste un gros projet qui évolue sans cesse.

En 2023, les instruments et capteurs de RBR ont été déployés par différents instituts ou centres de recherche dans différents endroits du globe pour l’acquisition de données dans le cadre du lancement et de l’aide à la calibration du système satellite SWOT (Surface Water and Ocean Topography). Il est toujours intéressant de voir la communauté scientifique internationale mettre en œuvre ses instruments sur un tel projet.

La société travaille avec les instituts de recherche comme le CNRS pour la fourniture des capteurs © RBR

Et quels sont les projets de demain ?

D.C. : Outre ce que j’ai dit sur la basse consommation, qui est un enjeu d’aujourd’hui et de demain, nous sommes appelés à augmenter notre capacité d’observation en milieux profonds, les zones d’exploration des minerais profonds, ou les zones à forte activité géologique. Nous avons par exemple travaillé avec le CNRS sur la zone du volcan au large de Mayotte apparu en 2018. Les défis sont notamment de mesurer la pression avec une très haute résolution sur une longue période, mais également toute une large gamme de paramètres avec des hautes résolutions et de bonnes stabilités. Il est également important de regarder avec attention ce qui se passe en milieu côtier pour apporter des solutions de mesures performantes pour répondre aux défis de demain liés à l’élévation de la température et du niveau de la mer.

Par ailleurs, nous nous positionnons bien sûr sur tout ce qui est instrumentation dédiée aux robots sous-marins autonomes (AUV, Autonomous Underwater Vehicle), en développant des capteurs spécifiques des différents porteurs, notamment la très basse consommation, des protocoles de communications simples et la forme de carénage de ces engins autonomes. Évidemment, nous nous posons toujours des questions pour anticiper même les besoins des scientifiques, en suivant de près la recherche. Nous avons au sein de nos équipes des océanographes qui nous accompagnent sur ces sujets.

 

A propos de Didier Clec’h

Didier Clec’h est le directeur de RBR France, filiale basée à Quimper.

Didier Clec’h est directeur de RBR France depuis 2019. Titulaire d’un master de physique du capteur en océanographie, Didier Clec’h a une forte connaissance du milieu scientifique dans lequel il évolue depuis 1997. Il a travaillé pendant dix-sept ans à l’Ifremer de Brest avec une première expérience de cinq ans au bassin d’essais comme ingénieur essais, avant de rejoindre le département navire et systèmes embarqués pour l’intégration et le développement des instruments de mesures sur les navires de la flotte océanographiques française. Par la suite, il travaille pour le compte de la société Neotek basée dans le Morbihan pendant 7 ans, où il développe le département marine scientifique. En 2019, il rejoint RBR, pour développer la nouvelle activité du groupe en France et Europe. Cette nouvelle étape professionnelle lui permet de découvrir un nouvel environnement porté par le monde de la science marine et de l’économie bleue.

Propos recueillis par Maud Lénée-Corrèze