Des robots planeurs à l’écoute de nos océans

Par Laurie Henry

La surface de la Lune est mieux connue que la plupart des milieux marins. En cause : la difficulté, le danger et le coût de la collecte des données océaniques, en particulier dans les milieux extrêmes. Mais la technologie moderne nous permet d’obtenir de plus en plus de ces observations in situ et à distance. Les robots prennent le relais., et en particulier les planeurs océaniques, plates-formes autonomes et silencieuses assurant une surveillance acoustique passive des océans.

Alors que la lumière ne pénètre qu’à une centaine de mètres de profondeur dans l’océan, le son peut parcourir des dizaines voire des milliers de kilomètres de la surface au fond. Pour cette raison, de nombreuses espèces marines ont évolué pour utiliser le son lors de la recherche de nourriture, la communication et la navigation.

La mesure du son dans la mer a donc une longue histoire, mais l’avènement des véhicules autonomes offre une nouvelle opportunité pour une surveillance en profondeur, haute résolution et toute l’année. Plus précisément, la surveillance acoustique passive (PAM) consiste à enregistrer des sons pour déduire des informations sur leurs sources.

Alors que les océans deviennent de plus en plus bruyants, comprendre et développer de nouveaux systèmes intelligents et efficaces pour détecter les précipitations, le vent, le bruit maritime ou industriel et les appels de mammifères marins sont essentiels à la protection de l’océan. Ainsi la plupart des activités anthropiques et biologiques marines, ainsi que certains processus naturels, émettent des sons, classés respectivement en anthropophonie, biophonie et géophonie.

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Principales sources contribuant au paysage sonore sous-marin. © P. Cauchy et al., 2023

 

L’analyse de l’anthropophonie permet de quantifier la pression humaine sur le milieu océanique, affectant largement la vie marine.

L’analyse de la biophonie fournit des informations précieuses sur les habitats et la santé des écosystèmes, en permettant par exemple d’estimer la densité de la population de baleines.

L’analyse de la géophonie permet de mesurer la vitesse du vent à la surface et le taux de précipitations, l’activité volcanique sous-marine ou encore le vêlage de la banquise.

Des planeurs silencieux fournissant des données précieuses

Les planeurs océaniques sont parfaitement adaptés à la surveillance acoustique passive. Conçus pour glisser tranquillement dans l’eau, sans aucun bruit de propulsion, ils collectent des profils hydrographiques* à partir desquels des profils de vitesse du son peuvent être calculés (information elle-même importante pour la modélisation de la propagation du son).

Les planeurs océaniques sont entraînés par des changements de flottabilité, c’est-à-dire un changement de répartition des masses dans le planeur lui permettant de plonger ou au contraire de remonter à la surface.

Le schéma de plongée habituel d’un planeur océanique est composé de cycles répétés de trois phases successives stables : deux phases de profilage, descente et remontée, pendant lesquelles le planeur collecte des mesures scientifiques, et une phase de communication, où le planeur reste à flot à la surface communiquant avec la terre via satellite et mise à jour de sa position à l’aide du GPS.

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Schéma de principe d’un cycle de plongée en planeur océanique. © P. Cauchy et al., 2023

 

Les deux phases de profilage sont les principales phases d’intérêt, quand le planeur est capable de se diriger et de progresser tout en collectant des données scientifiques sans énergie supplémentaire nécessaire à la propulsion. Les données acoustiques brutes sont alors accessibles après récupération du planeur ayant embarqué un ou plusieurs capteurs PAM, offrant ainsi de multiples possibilités de surveillance acoustique.

Quel planeur pour quelle mission ?

Une récente étude (P. Cauchy et al., 2023) passe en revue les différents systèmes de planeurs existants et leur possibilité en termes de recueil de données selon les objectifs des missions.

Sur la base de 34 missions de surveillance acoustique passive via des planeurs, il a été constaté que seulement moins de 13% du temps passé en mer était inadapté aux mesures de surveillance acoustique passive, soit à cause des communications de surface ou de la manœuvre du planeur. Ce qui offre une très grande plage temporelle pour le recueil de données.

De plus, en raison de leur capacité de profilage vertical, les observations de planeur PAM permettent d’effectuer des mesures en trois dimensions, à une échelle horizontale avec laquelle il n’est clairement pas possible d’obtenir des observations ancrées fixes.

Les auteurs soulèvent également un point essentiel des planeurs : leur capacité à traiter des données acoustiques brutes à bord. Cela permet d’extraire des paramètres clés (comme des niveaux sonores sur une bande de fréquence prédéfinie, des détections automatiques), et donc de ne récupérer qu’une fraction des données totales, celle la plus pertinente pour l’objectif de recherches. La transmission de données en temps réel fournit une rétroaction sur les données recueillies par le planeur PAM, et la possibilité d’adapter la stratégie d’échantillonnage pour améliorer le suivi.

Ainsi par exemple, la transmission en temps réel de la détection d’appels de baleines pourrait déclencher un enregistrement continu, et fournir une observation étendue du comportement et de l’interaction sociale des baleines sans réduire de manière significative l’endurance du planeur PAM. Autre exemple : la transmission en temps réel de la détection de pluie pourrait déclencher une modification de la profondeur de plongée du planeur, et fournir des observations sous la surface à une résolution temporelle accrue.

Au final, trois priorités de recherche sont mises en exergue par les auteurs de la publication de Cauchy et al., 2023 pour les futures missions des planeurs océaniques :

1) les développements technologiques nécessaires pour améliorer l’intégration des capteurs et préserver l’endurance des planeurs ;

2) des méthodes d’échantillonnage et des techniques d’analyse statistique améliorées, pour permettre des estimations de la densité des populations océaniques à partir d’observations de planeurs de surveillance acoustique passive ;

3) une procédure d’étalonnage du planeur de surveillance acoustique passive, pour enregistrer les niveaux de bruit absolus et surveiller notamment le bruit anthropique.

 

Source : Cauchy P, Heywood KJ, Merchant ND, Risch D, Queste BY and Testor P (2023) Gliders for passive acoustic monitoring of the oceanic environment. Front. Remote Sens. 4:1106533. 4:1106533. doi : 10.3389/frsen.2023.1106533

 

* Profils hydrographiques : Relevés de la topographie maritime qui a pour objet de lever le plan du fond des mers et de déterminer les diverses profondeurs de l’eau, la force des courants et des marées, dans le but d’établir des cartes marines.